À  l’affiche : All of us strangers, de Andrew Haigh

Cette semaine, le P’tit Rennais est allé chiné des films au Cinéma Arvor pour vous. Gros plan sur All of us strangers (« Sans jamais nous connaître »), le dernier film du réalisateur britannique Andrew Haigh. Une histoire d’amour et de fantômes, portée par les deux acteurs charismatiques Andrew Scott et Paul Mescal. En salle depuis le 14 février, à découvrir au cinéma Arvor !


« The power of love » n’est pas seulement la musique qui signe la fin de All of us strangers (« Sans jamais nous connaître », en français), c’est aussi le leitmotiv qui guida Andrew Haigh pendant toute l’écriture et la réalisation de son film. Tiré du roman japonais Strangers de Taichi Yamada, Andrew Haigh propose une réécriture stylisée et personnelle, qui met en avant les questions du deuil, de l’homosexualité, de la complexité des relations, et de la difficulté de retourner à la surface du monde quand la souffrance est trop lourde.

L’histoire se déroule à Londres dans notre époque contemporaine. Adam, scénariste quadragénaire, est reclus dans une immense tour dont la plupart des appartements sont inhabités pour écrire son prochain film.  Par une nuit de solitude, il rencontre son voisin Harry, un jeune homme jovial, qui sous son ivresse, paraît torturé. Tandis que les deux hommes se rapprochent, Adam replonge dans son passé traumatique et retourne dans la banlieue de son enfance, où ses parents, décédés depuis plusieurs années, l’accueillent.

Pour son cinquième long métrage, Andrew Haigh s’entoure d’acteurs à la mode : Andrew Scott, notamment repéré dans la série britannique Fleabag, campe le personnage d’Adam, et celui qui lui donne la réplique, est nul autre que le tout aussi charismatique Paul Mescal, connu pour ses rôles dans la mini-série Normal People, ou dans le film Aftersun. Deux acteurs magnétiques à l’écran, aussi maladroits et qu’attendrissants. 

Londres comme purgatoire

Fort de ce casting 5 étoiles, le film dissèque un sentiment propre à notre société contemporaine : le vertige de l’existence, de l’identité, et la complexité des relations. La ville de Londres n’aura jamais été aussi silencieuse que dans All of us strangers. C’est un Londres cloisonné dans une tour moderne et fantomatique, où les seuls bruits que nous entendons sont les mécanismes de l’ascenseur quand il se déplace… Un Londres dont les fenêtres des buildings ne s’ouvrent pas par crainte que les gens sautent au travers. Un Londres qu’on parcourt en métro, loin du tumulte urbain. Paradoxalement, en s’installant à Londres, Adam fuit la banlieue régie par le ragot propre au voisinage. Il part pour vivre l’expérience de sa sexualité, pour rencontrer des personnes à qui il peut s’identifier. Mais que lui laisse Londres finalement ? Le vertige d’une crise profonde : se retrouver soi-même face à des démons du passés et des questions irrésolues.

Entre imaginaire et réalité…

Andrew Haigh ressasse le motif de la surimpression, des reflets dans les miroirs ou les vitres pour fragmenter son personnage et altérer davantage son appartenance à la réalité. Car en effet, en tant que spectateur, la question de la réalité ne cesse de nous happer.  On ne sait jamais où situer le récit dans son espace-temps : sommes-nous dans le présent ? dans quel présent ? dans quelle réalité ? Le film joue à nous perturber en dilapidant la chronologie logique par le rêve ou par la drogue, si bien que comme Adam, nous nous enfiévrons et perdons nos repères dans cette temporalité poreuse…  Tout est vaporeux, autant les fantômes des parents figés dans les archétypes d’un ménage des années 80, que la réalité elle-même, glaciale et solitaire, sans consistance propre si ce n’est dans la chair, dans les ébats amoureux entre Adam et Harry, qui par le contact, parviennent à renouer avec la réalité.

Que reste-t-il sinon l’amour ?

Dans ce vide existentiel, à quoi se rattacher ? La réponse d’Andrew Haigh est toute trouvée : « the power of love ». La vie d’Adam a plus de saveur dans ses rêves, lorsqu’il est attablé avec ses parents morts dans la maison familiale. Ses illusions lui permettent d’expier ses douleurs d’enfance, et de combler le vide causé par l’absence de ses parents. Adam ne cesse de questionner ce qu’ils auraient pensé de lui aujourd’hui. Pour ça, il leur donne une voix, il leur donne un sursis sur terre. C’est bien toute la magie que peut le cinéma : faire revivre les morts, prolonger nos relations avec eux.

Et dans l’autre réalité d’Adam, c’est un tout autre amour qui l’attend : celui d’Harry, garçon attentionné mais préoccupé par des souffrances intimes qu’il maquille sous sa jovialité. Peut-être est-il le seul à même de le comprendre ? Peut-être est-il le seul capable de rendre à la réalité sa consistance ? Car, sinon par l’amour, comment combattre l’absurdité de l’existence ?

All of us strangers est un film qui laisse un lourd sentiment après visionnage. Que vous soyez revigorés par l’amour exponentiel qui transcende l’écran jusqu’à la fin du film, ou emmitouflé dans une amertume mélancolique, ne résistez pas à la découverte de ce film. En salle au Cinéma Arvor !

Written By: Lorène Hivet