Mythos : Bachar Mar Khalifé, à la rencontre d’un univers à part
Bachar Mar Khalifé, chanteur franco-libanais de 34 ans nous a fait l’honneur d’une interview, juste avant son concert de la soirée d’ouverture de Mythos. Nous avons parlé de musique, de rencontres et de bonheur.
Vous êtes arrivé en France à l’âge de six ans où vous avez débuté le piano au Conservatoire. Que représentent ces deux pays pour vous?
Le Liban d’abord, forcément, puisque c’est mon pays de naissance. Mon parcours de vie a décidé de ma relation avec deux pays. Le Liban, évidemment c’est l’enfance, c’est la guerre, la famille, la fête. Et puis la France, c’est forcément un départ, une rupture avec ce qu’il y avait avant, mais c’est aussi beaucoup d’amis, beaucoup de fêtes, un peu de guerre aussi. Tout ça fait partie de ma vie. J’ai pu me poser des questions d’identité auparavant, mais je suis aujourd’hui beaucoup plus serein par rapport à ça. Je n’ai pas à choisir telle ou telle définition, au final ce sont des définitions, des pays, des drapeaux, ce n’est pas très réel tout ça. Je ne représente pas un drapeau, mais cela ne m’empêche pas d’aimer d’amour mon Liban et la France, que j’ai connus plus tard.
Pourquoi avoir choisi de chanter en arabe?
C’est la langue qui m’est venu naturellement pour composer mes chansons alors que j’habitais à Paris. J’imagine que c’était une manière aussi de préserver quelque chose qui ne m’appartenait plus dans cette vie parisienne; et c’est aussi, je crois, le fait de ne pas maîtriser l’arabe comme je maitrise le français, puisque je n’ai pas été à l’école au Liban. Je crois que j’ai eu beaucoup plus de liberté à créer des chansons en arabe plutôt qu’en français; j’estime avoir trop d’automatisme peut-être dans ma langue. C’est une liberté que j’ai recherchée.
Une de vos chansons les plus connues est Lemon, qu’y racontez-vous?
C’est les citronniers, les orangers, on en a beaucoup au Moyen-Orient. C’est un poème d’un poète égyptien, qui s’appelle Samir Saadi, c’est un poème qui parle d’amour, c’est une des chansons les plus positives de mon répertoire, je crois.
Votre album « Ya Balad » signifie « Au pays ». Ce pays, dont vous parlez, c’est un pays qui sort de votre imaginaire, qui vient de votre enfance, c’est un pays rêvé, fantasmé, c’est un pays d’exilé?
C’est un pays que je n’ai pas nommé en tout cas, sinon le titre aurait été différent. C’est un pays qui me permet de chanter, d’écrire de la poésie, d’évoquer quelque chose qui n’est pas forcément rattaché à quelque chose qui existe. Cet aspect de la musique et de la poésie est essentiel, c’est à dire qu’on doit pouvoir garder une certaine distance avec les mots, avec les choses. On doit pouvoir garder une distance avec les choses que l’on connaît trop bien.
Pourquoi?
Dans la vie, dans nos sociétés, on nous pousse à mettre les choses dans des cases, dans des catégories, et on a un peu peur des choses comme par exemple la musique ou la poésie, qui flottent un petit peu entre deux mondes, quelque chose qu’on ne maîtrise pas. Et la société rejette ça un peu, peut-être parce que ce n’est pas quelque chose de rentable, alors on préfère nous pousser vers la consommation. Donc voilà, la valeur de la musique dans notre société.
Vous avez une formation classique; vous avez été au Conservatoire où vous avez appris le piano et les percussions, votre musique aujourd’hui est inclassable, éclectique. Quel regard portez-vous sur votre évolution en tant que musicien?
Ce n’est pas un sujet central de mes réflexions, ce n’est pas quelque chose qui me préoccupe énormément non plus. Aujourd’hui, c’est simplement le résultat de tout mon parcours académique, toutes les rencontres que j’ai pu faire avec les musiciens de partout.. En tout cas, je pense faire partie de ces musiciens qui n’aiment pas rester quelque part, et qui aiment aller vers des endroits qui n’étaient pas, au départ, accessibles, peut-être.
Parlons de la pochette de votre album, c’est une photo de profil, sur laquelle on vous voit en noir et blanc, les mains sur vos yeux, comme si vous refusiez de voir quelque chose. Que représente cette image pour vous?
C’est une photo d’un photographe anglais, Lee Jeffries, qui a beaucoup travaillé avec les sans-abri, il les a photographié et a sorti un bouquin avec ses photos. J’ai été frappé par ces photos, parce que ce sont a priori des gens dans la rue, qu’on ne regarde parfois plus, et quand on prend le temps de les photographier, on a quelqu’un devant nous, on a une lumière, on a la Vie devant nous, on a quelque chose de sacré. Le fait de mettre la main sur les yeux, je sais pas si on peut réduire à ne pas avoir envie de voir quelque chose, cela peut être aussi une introspection. Fermer les yeux cela permet aussi de voir beaucoup d’autres choses, et bien sûr d’entendre, puisqu’on entend mieux les yeux fermés.
Vous avez invité l’actrice Golshifeth Farahani sur votre album. Son histoire est particulière puisqu’elle a du quitter l’Iran en 2008; l’exil a un sens pour elle aussi. Pourquoi avez-vous tenu à l’inviter, et pour reprendre une berceuse?
Cette chanson n’était pas prévue pour l’album au départ, elle était pour un film qui s’appelle Go home, de la réalisatrice libanaise Jihane Chouaib. Dans ce film, Golshifteh tient le premier rôle, et Jihane voulait m’appeler pour le générique de fin pour cette chanson-là en particulier. C’est une berceuse traditionnelle libanaise, moyen-orientale, et donc on a travaillé un peu avec Golshifthé et on a enregistré cette chanson. C’est par la suite que j’ai voulu l’intégrer dans l’album, parce que je me suis rendu compte qu’elle comptait beaucoup pour moi cette chanson et qu’il y avait beaucoup de niveaux de compréhension. Ça m’a semblé important de l’intégrer. Et sa voix tranche, elle coupe le disque en deux, c’était quelque chose d’assez pertinent.
Quels sont les différents niveaux de compréhension?
Toutes les berceuses en général ont plusieurs niveaux de compréhension. J’en ai repris un autre dans l’album ne version française, qui s’appelle « Dors mon gars », c’est l’histoire d’un père qui chante à son enfant pour l’endormir, et qui lui dit qu’il va partir sur l’eau, et qui lui dit de ne pas grandir trop vite… Toutes les berceuses parlent d’une certaine séparation entre l’enfant et les parents, entre l’enfance et le monde adulte, entre un pays et un voyage en général.
Vous chantez des berceuses à vos enfants?
Bien sûr!
Vous êtes aujourd’hui à Mythos, dont vous faites la soirée d’ouverture. Comment appréhendez-vous cette soirée? Le connaissiez-vous?
Non, je ne connaissais pas ce festival. Je suis toujours assez frappé par le nombre de festivals qu’on en France dans les villes et les villages, chacun à son festival, chacun accueille des artistes du monde entier. C’est quand même assez impressionnant à chaque fois. On a déjà joué à Rennes, et ce soir nous jouons à 22h00 et c’est quelque chose que j’aime, j’aime jouer un peu plus tard que l’heure du repas, les gens sont plus disponibles pour partir quelque part. On aborde tous, les musiciens et moi-même, ce concert comme à chaque fois, c’est-à-dire comme une date exceptionnelle, quelque chose qui n’arrive qu’une seule fois. Finalement un concert, c’est quelque chose de très éphémère. On a l’intention de faire ce qu’il faut.
Vous voulez que le public écoute votre concert les yeux fermés ?
Je ne vais pas donner de directives (rires). Chacun a la responsabilité de son écoute et j’espère que cette écoute soit la plus intense possible.
Que souhaitez-vous que les gens ressentent en vous écoutant?
Quand je chante l’exil, l’amour etc… ce n’est pas le mien, j’espère que chacun ressent son propre exil, son propre amour, durant son concert.
Que puis-je vous souhaiter pour demain, et pour l’avenir?
Le bonheur!
Il est où?
Mais il est partout. Il faut être courageux, pour être heureux.
Merci Bachar Mar Khalifé, je vous souhaite beaucoup de bonheur, et un très bon concert.
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