Urgence sanitaire et inaction climatique : paradoxe de l’ère des catastrophes 1/3

« Mes chers compatriotes, la France vit un moment très difficile. Nul ne peut en prévoir précisément la durée et, à mesure que les jours suivront les jours, que les problèmes succéderont aux problèmes, il faudra nous adapter ». C’est notamment par cette formule qu’Emmanuel Macron voulut mobiliser les Français le lundi 16 mars 2020, dans son allocution télévisée annonçant le premier confinement. Or, cette phrase, presque annonciatrice des sombres événements qui attendent le pays durant les prochaines années, n’a rien d’anodine. Elle est le symbole d’un changement de ton très net dans les discours présidentiels liés au covid-19. On remarque, en effet, qu’avec la crise du coronavirus, Emmanuel Macron tente d’endosser un nouveau rôle public : celui d’un capitaine de navire qui, dans la longue tempête sanitaire, tenterait de conserver son rafiot en bon état et appellerait ses matelots à de courageux sacrifices. Pour cela, il n’hésite pas à utiliser sans discontinuer une rhétorique qui a actuellement le vent en poupe : celle du catastrophisme écologique.

Un capitaine en pleine tempête…

On observe effectivement, depuis mars, un parallèle intrigant entre les discours des militants pour le climat d’une part et la dialectique macroniste de gestion de la crise sanitaire d’autre part. Tout d’abord, l’exécutif s’appuie sans réserve sur le caractère urgent et catastrophique de la situation sanitaire, celle-ci nécessitant donc une mobilisation extraordinaire de la population. En témoigne sa fameuse anaphore « Nous sommes en guerre » que le président martela six fois le 16 mars, en appelant ensuite « tous les acteurs politiques, économiques, sociaux, associatifs, tous les Français à s’inscrire dans cette union nationale qui a permis à notre pays de surmonter tant de crises par le passé ». Comment alors ne pas songer aux militants climatiques qui, face à l’ampleur des changements à opérer et des pénuries à venir, préconisent depuis plusieurs années un effort de guerre et un rationnement des ressources ? En outre, à la manière des écologistes se saisissant des rapports du GIEC, le président Macron justifie depuis des mois sa politique sanitaire par le constat expert du conseil scientifique (« Les scientifiques le disent, c’est la priorité absolue », affirma-t-il le 16 mars).

On peut également penser à l’importance donnée dans ses discours à ce qui touche à l’intérêt général, au sacrifice nécessaire au bien commun. Il affirma à cet égard dans son discours du 16 mars que « cette crise sanitaire sans précédent aura des conséquences humaines, sociales, économiques majeures. C’est aussi ce défi que nous devons mener. Je vous demande des sacrifices pour ralentir l’épidémie ». Or, cette idée (également écologiste) d’un effort économique douloureux à court terme pour éviter un désastre humain à long terme, il la répéta le 28 octobre lorsqu’il annonça que « rien n’est plus important que la vie humaine ». Enfin, un autre élément saillant de ces discours présidentiels teintés de rhétorique écologiste est la référence à la jeunesse (« qu’il est dur d’avoir 20 ans en 2020 » prononçait-il le 14 octobre) ainsi qu’à un fameux « jour d’après ». Appelant en effet le 13 avril à « sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer » après la crise, Macron promit en outre de « bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seuls peuvent permettre de faire face aux crises à venir ».

Que penser de ce parallèle saisissant ? Avec cette reprise de la rhétorique catastrophiste par le pouvoir, on pourrait facilement penser que nos dirigeants deviennent sensibles aux problématiques écologiques. Dans l’œil du cyclone, le pouvoir politique aurait soudain une prise de conscience de la vulnérabilité de notre mode de vie face aux différents risques systémiques. On peut penser d’abord aux effondrements économiques et sociaux, qui seront inéluctables et brutaux si l’on ne prend pas rapidement en compte les limites physiques à la croissance. Il est en effet devenu clair que l’approvisionnement en pétrole (et en d’autres ressources non-renouvelables), qui alimente les machines dont dépend grandement l’économie moderne, est amené à décliner ces prochaines années, du fait de coûts d’extraction croissants. Or, si les risques d’effondrements économiques, politiques et sociaux sont réels, le comble est qu’on peut aujourd’hui les relativiser par de plus grands dangers encore : l’extinction de masse des espèces vivantes et le changement climatique.

Ces périls écologiques pourraient effectivement à eux seuls provoquer des catastrophes globales, massives et brutales, aboutissant dans les pires scénarios à la fin de la civilisation, voire de l’espèce humaine. Le constat est déjà sombre : on estimait en 2003 que 90% de la biomasse des grands poissons avait disparu depuis le début de l’ère industrielle et l’on sait aujourd’hui que 52% des populations d’oiseaux des champs d’Europe ont disparu en à peine 30 ans. Quant au climat, avec seulement 1 degré celsius en plus par rapport à la période préindustrielle, les conséquences sont en 2020 déjà immenses : fonte des glaces, intensification et répétition de tempêtes, de sécheresses, de feux de forêts ayant un impact sur la biodiversité et l’agriculture partout dans le monde,… Mais le cauchemar ne fait que commencer : dans un monde à +2 ou +3 degrés de moyenne, les risques de conflits et de famines seront multipliés et les réfugiés climatiques se compteront en centaines de millions du fait de la montée des eaux. Il se pourrait même que la fonte du permafrost sibérien relâche du sol des virus inconnus (et potentiellement bien plus dangereux que celui du covid) et d’autre part du méthane qui, à son tour, accentuerait l’emballement climatique.

Cet article a été rédigé par François Fouchet, en partenariat avec le journal des étudiants de la licence Sciences Politiques de Rennes 1 (Arespublica)

Written By: Le P'tit Rennais

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