Comment sont fabriqués les sondages ?

Qu’elles traitent des intentions de vote ou des mesures fortes d’un candidat, les enquêtes d’opinion sont très appréciées par les journalistes et les politiques pour essayer de comprendre ce que pensent les Français.


L’élection présidentielle approche à grands pas. Aussi, on voit depuis déjà plusieurs mois un nombre important de sondages fleurir dans la presse.

Alors posons-nous la question suivante : « comment sont fabriqués les sondages ? ».

Genèse et histoire

Les sondages ont hérité de l’évolution des études statistiques, qui se sont mises d’accord dans les années 1920 sur le recours à la généralisation des résultats à l’ensemble d’une population. À partir des années 1930, les sondeurs ont commencé à présenter le sondage comme un atout pour la démocratie. Grâce à ce dernier, il est alors possible de connaitre l’opinion d’une large quantité de personnes, sur une multitude de sujets. On note que le nombre de sondages réalisés pour les élections présidentielles a été multiplié par 20 depuis 1970. Pas moins de 560 sondages ont été réalisés pour celle de 2017.

Maintenant que nous connaissons l’histoire et les origines des sondages, intéressons-nous à ceux qui les réalisent avec la question ci-dessous :

Qui détient les instituts de sondage ?

L’expression « institut de sondage » évoque au grand public l’univers académique et les activités de recherche. On pense à des organismes du domaine des sciences « dures » comme l’Institut Pasteur ou encore l’INSEE.

La réalité est bien différente, du point de vue juridique, les instituts de sondage sont des entreprises privées. En conséquence elles sont donc plus proches du monde des affaires qu’on ne pourrait le penser. Il faut distinguer les 2 300 entreprises proposant des « prestations de sondage » et qui réalisent un CA de presque 2 milliards d’euros de la dizaine d’« instituts de sondage ».

Ces derniers se divisent en 2 catégories, les instituts historiques (Ipsos, Kantar, Ifop, CSA, BVA et Harris interactive) et les plus récents (Opinionway, Viavoice, Elabe et Odoxa) nés dans les années 2000. Pour connaître la nature et l’identité des dirigeants des principaux instituts de sondage français produisant des études d’opinion, on vous recommande cet article du blog Opinion Publique.

Connaissant ces informations, posons-nous une dernière question :

Comment les sondages orientent-ils l’opinion ?

Les instituts de sondage utilisent la méthode des quotas. Elle consiste à reproduire une France miniature en interrogeant un échantillon représentatif, soit environ 1 000 personnes. Son inconvénient est qu’elle comporte un risque d’exclusion ou de surreprésentation de certaines catégories de personnes. Cette méthode nécessite d’appeler un très grand nombre de personnes (20 000 personnes contactées pour 1 000 répondants). À cela s’ajoute une différence d’opinion vis-à-vis de ceux qui ne répondent pas au sondage. Les instituts de sondage mettent souvent de côté ce paramètre, ce qui entraîne un biais de représentativité.

Un journaliste participe à des sondages sous 200 identités différentes !

Ensuite, la fiabilité peut aussi être mise en doute par l’exemple suivant : un journaliste du Monde a réussi à participer à des sondages sous plus de 200 identités différentes. Connaissant cela, il est aisé d’imaginer ce que pourraient accomplir quelques centaines de militants motivés et bien organisés ! A cela s’ajoute le fait que le choix des questions et la manière de les poser oriente énormément les réponses obtenues (effet de cadrage). La façon d’enchaîner les questions, qu’on appelle effet d’amorçage (bien connu en psychologie) peut produire des réponses différentes dans des proportions très importantes. Cela peut sembler anecdotique, mais il y a un risque d’utilisation politique de cet effet d’amorçage.

« 30% des Français n’excluraient pas de voter pour Marine Le Pen »

Journal Libération, 9/01/2012

Et la liste des biais ne s’arrête pas là, il existe aussi un biais de présentation. C’est la façon de faire parler les chiffres d’un sondage avec une phrase ou un titre particulier. Le journal Libération a produit un très bel exemple de ce type, (voir la vidéo ci-dessous) peu de temps avant l’élection présidentielle de 2012. Il avait fait sa une avec le titre : « 30% des Français n’excluraient pas de voter pour Marine Le Pen ».

Tous ces biais peuvent entraîner des réponses et résultats non neutres, non objectifs et donc non fiables, de l’opinion des Français.

Notons qu’il arrive que les instituts – français comme étrangers – se trompent.

Voici quelques exemples : au moment de l’élection présidentielle française de 2002, aucun sondage n’avait anticipé que Jean-Marie Le Pen se qualifierait au 2nd tour face à Jacques Chirac. L’élection présidentielle US de 2016 donnait Hillary Clinton gagnante face à Donald Trump. Plus récemment, le résultat du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni en juin 2016 a surpris tout le monde.

Saluons la décision du journal Ouest-France (dans un éditorial du 23/10/2021) de ne plus publier de sondages en lien avec la campagne jusqu’à l’élection présidentielle 2022, afin de ne pas influencer les électeurs dans leur choix de vote.

Si les sondages ne sont pas une mesure objective et neutre de l’opinion de la majorité des Français, ils peuvent contribuer à la construire et manipuler.

Il apparaît alors nécessaire de prendre de la distance vis-à-vis des sondages et de s’intéresser davantage aux programmes politiques des candidats !

Written By: Rémi Cadieu