Un festival haut en couleur et en émotion : retour sur le festival national du film d’animation

Du 23 au 27 avril se tenait à Rennes le Festival National du Film d’Animation (FNFA), le rendez-vous annuel incontournable des amateurs et professionnels avec ce que la France fait de mieux en la matière. Projections, rencontres, tables rondes et ateliers, il y en avait pour tous les âges et tous les goûts. En mots et en images, retour sur quatre jours et demi… très animés.


C’était une édition très attendue, après deux versions intégralement en ligne. Et le public comme le talent ont répondu présent. Il faut dire qu’il y avait l’embarras du choix : 130 œuvres sélectionnées, une centaine d’événements proposés, des invités de marque et des moments de qualité : une programmation riche et représentative de la formidable diversité de la production française, qui a enchanté petits et grands, amateurs comme professionnels du secteur. Focus sur quelques événements :

2022, L’Odyssée : une soirée qui donne le ton

Après une demi-journée de projections, le samedi 23 avril, le festival s’ouvrait officiellement par une soirée grandiose : un ciné-concert composé et interprété en solo par le musicien breton Ollivier Leroy, alias Olli. Équipé d’un piano, de claviers analogiques, d’un thérémine, d’une guitare-clavier et d’une voix venue d’outre-espace, Olli a envoûté une salle comble avec sa mise en musique électronique de huit courts métrages aux univers et techniques d’animation variés, mais réunis par un même esprit et un même thème : la science-fiction – proche de l’anticipation : transhumanisme, écologie, société de consommation… Ces huit courts métrages, aux tons très différents – parfois drôles, parfois grinçants, souvent légèrement angoissants – illustrent des problématiques très actuelles liées à nos modes de vie et à l’impact qu’il ont sur notre environnement… et sur nous-mêmes.

Ci-dessus à gauche : Johnny Express. À droite : Empty Places.

Que ce soit la vision effrayante d’une faune sous-marine qui s’est adaptée à la pollution ambiante en s’hybridant avec des déchets métalliques (Hybrids), ou celle, non moins dérangeante, d’un monde vidé de ses habitants où les machines continuent de tourner dans un mouvement infini et absurde (Empty Places), l’invasion de New York par des créatures pixelisées transformant tout ce qu’elles touchent… en pixels (Pixels, oui), ou une plongée dans un Paris fantasmagorique vu comme à travers un microscope (Ghost Cells), l’histoire absurde et hilarante d’un livreur de l’espace zélé, sorte d’« employé du mois » de la bêtise humaine (Johnny Express), ou celle d’un touriste de l’espace en bisbille avec un alien kleptomane (Home Away 3000), un futur dystopique où les rôles des humains et des animaux s’inversent (The Turning Point) ou cyberpunk avec cohabitation entre humains et robots (Dead End)… ces courts métrages interrogent, nous interrogent, sur la place que nous occupons et les dégâts que nous provoquons, parfois en toute insouciance, et soulignent des préoccupations majeures de notre temps : pouvons-nous continuer à vivre en faisant fi du monde qui nous entoure ? Cette Terre qui est la nôtre, sera-t-elle un endroit accueillant pour les générations à venir ? Quel héritage leur laisserons-nous ? Le sacro-saint Progrès améliore-t-il indubitablement notre existence ? Sommes-nous condamné·es à vivre toujours plus vite ? À partir de quel moment la vie devient survie ? Et ces visions qui nous sont proposées à l’écran, se conjuguent-elles au futur ou au conditionnel ?

Olli devant une image de The Turning Point, de Steve Cutts.

La Traversée : itinéraire créatif d’un long métrage d’animation

Au musée des beaux-arts, le temps du Festival, une exposition présentait une partie du travail préparatoire du film La Traversée, de la réalisatrice Florence Miailhe (qui faisait partie du jury des courts métrages étudiants).

Née en 1956, diplômée des Arts décoratifs de Paris, Florence Miailhe a à son actif une dizaine de courts métrages, dont l’un a été récompensé d’un César et un autre d’une mention spéciale au Festival de Cannes. Elle a également reçu, en 2015, le Cristal d’honneur du Festival international du film d’animation d’Annecy pour l’ensemble de son œuvre. Elle enseigne aussi dans diverses écoles d’animation, notamment les Gobelins. La Traversée est son premier long métrage.

Ce film raconte l’odyssée de deux enfants, Kyona et Adriel, une sœur et un frère fuyant un pays en guerre. Sur le long chemin qui mène à la liberté, de bonnes et de mauvaises rencontres vont influencer leur destinée. Un voyage initiatique et onirique, entre cruelle réalité et conte éveillé.

Le dimanche 24 avril, la réalisatrice était présente en personne au musée pour présenter les œuvres exposées (une quarantaine), dessins ou peintures réalisés par elle ou des membres de son équipe, et expliquer son travail : du « storyboard » (en fait frise de 25 mètres sur 6 centimètres – une bobine de caisse enregistreuse – sur laquelle elle a peint l’intégralité de l’histoire, et qui a été agrandie pour l’exposition) à l’animation proprement dite, en passant par la peinture, l’enregistrement des voix, la composition musicale… Le public pouvait suivre chronologiquement l’avancée de l’histoire en même temps que de la fabrication du film.

La technique de prédilection de Florence Miailhe est la peinture animée, sur papier de soie et cellulo. Elle travaille de façon très artisanale, et généralement seule ou presque. Pour ce premier long métrage, elle a dû s’entourer, entre autres, de dix décoratrices et quinze animatrices, et pu compter sur sa fidèle co-scénariste, la romancière Marie Desplechin. La réalisation de ce film a pris trois ans.

Florence Miailhe a aussi donné le mardi 26 avril, toujours au musée, une masterclass intitulée « De la peinture au cinéma », au cours de laquelle elle a livré ses secrets de fabrication. Le film, quant à lui, était projeté à l’Arvor dans la soirée du 25 avril.

Florence Miailhe

Ci-dessus : illustrations de trois chapitres différents du film La Traversée : « Le Lac », « Le Cirque » et « Le Camp des enfants ».

Dans les coulisses : les recettes de Moules-Frites et Drôles d’oiseaux

Au 4Bis le mardi, le public était invité dans les coulisses de deux spéciaux TV (films commandés par une chaîne) de 26 minutes : Drôles d’oiseaux et Moules-Frites. Ces deux films (ainsi qu’un troisième, La Vie de château) sont nés suite à un appel à projets lancé par France Télévisions, une commande de trois films avec comme thème commun « le récit initiatique d’une héroïne contemporaine ».

Le premier, Drôles d’oiseaux, est l’œuvre de la réalisatrice Charlie Belin. Il raconte l’histoire de la jeune Ellie, enfant solitaire férue d’ornithologie, découvrant grâce à une délicieuse bibliothécaire l’existence d’une « île aux oiseaux » non loin de là, au milieu d’un fleuve.
En plus de quelques extraits, la réalisatrice a présenté au public des croquis préparatoires, notamment sur la recherche des personnages, une vidéo montrant l’enregistrement sonore d’une scène et expliqué les processus d’animation utilisés par l’équipe créative du film. Elle a aussi raconté la genèse de cette histoire, inspirée par celle, authentique (et découverte dans un reportage) d’une famille vivant sur une île au milieu de la Loire, non loin de l’abbaye de Fontevraud où elle a développé ce projet en résidence.

Le second film, Moules-Frites, a été réalisé par Nicolas Hu. C’est aussi l’histoire d’une jeune fille, Noée la bien-nommée, qui débarque sur une île bretonne pour une toute nouvelle vie, et se prend de passion pour la voile.
Le réalisateur a expliqué au public toutes les étapes de la création d’un film, du synopsis au compositing (l’assemblage du tout), en illustrant ses propos de photos et dessins, et a fait une démonstration du travail progressif d’animation avec un extrait du film décomposé et recomposé (croquis puis dessin et mise en couleur, ajout des bruitages et des dialogues…)

Les deux cinéastes ont ensuite répondu ensemble aux questions du public.

Ci-dessus : Nicolas Hu et Charlie Belin. En haut à gauche : Drôles d’oiseaux. En bas à gauche : Moules-Frites.

Des coups de cœur et des clips

Le mardi soir à l’Arvor se tenait la Cérémonie des Coups de cœur. 9 prix ont été décernés :

  • Coup de cœur du jury étudiant pour un clip : Mamour par Odezenne, de Vladimir Mavounia-Kouka ;
  • Coup de cœur des scolaires pour un court métrage jeune public : Le vieux lion et le petit chat, de Violeta Cortes ;
  • Coup de cœur Benshi pour un court métrage très jeune public : Luce et le rocher de Britt Raes ;
  • Coup de cœur Les femmes s’animent – LFA pour une production audiovisuelle : Finding Home de Maria Stanisheva ;
  • Coup de cœur Agraf pour une série originale : Cherchez la femme – Ida Pfeiffer, de Mathieu Decarli et Julie Gavras ;
  • Pitch – Prix Agraf pour un projet en concept : Usahay de Clarissa d’Orival ;
  • Pitch – Prix Ciclic Animation pour un projet de court métrage en développement et préproduction : Sous ma fenêtre, la boue, de Violette Delvoye ;
  • Pitch – Prix Cartoon Springboard pour une série de jeune auteur : Pour une heure et demie, de Marie Derambure et Paco Moccand ;
  • Pitch – Prix Titrafilm pour un projet de série en développement ou préproduction : Les Mères Lachaise, d’Alix Fizet.

La soirée se poursuivait par la projection de clips musicaux animés, réalisés pour des artistes aussi divers que Sébastien Delage avec Les garçons de l’été, Pauline Croze avec Solution ou Odezenne avec Mamour (coup de cœur du jury étudiant), pour ne citer qu’eux.

En haut à droite : Mamour. En bas à droite : Luce et le rocher.

Flee : un triomphe en avant-première

Le mardi 26 au soir, le TNB projetait en avant-première le long métrage Flee. Ce documentaire d’animation, à la production danoise, française, suédoise et norvégienne et réalisé par Jonas Poher Rasmussen, était précédé par sa réputation : Grand Prix du Jury à Sundance, Cristal du long métrage au Festival international du film d’animation d’Annecy, deux nominations aux BAFTA et trois nominations aux Oscars…

Le film raconte l’histoire vraie d’Amin (nom d’emprunt), de son enfance en Afghanistan à ses projets de mariage et de maison, quelques décennies plus tard au Danemark. C’est le récit – fait par Amin lui-même – d’un exil, du chemin semé d’embûches vers une vie meilleure et, tout au bout, la liberté. Et c’est dur. On est touché au cœur par ce témoignage qui nous entraîne parmi quelques-uns de ces fameux « migrants », dont nous entendons parler tous les jours mais qui nous paraissent souvent si lointains. Ces migrants à qui l’on parvient, ici, à s’identifier sans mal. On traverse l’Europe, à pied, en voiture, la mer Baltique dans la cale d’un rafiot, on fait des allers et retours, l’espoir chevillé au cœur… tout comme la peur, l’angoisse permanente, les sens constamment en éveil, même dans le sommeil… On tremble, on rit parfois, on suit Amin comme une ombre dans sa folle odyssée, tout en sachant qu’au bout, il y a la liberté. La liberté, oui, mais pas seulement : il y a l’amour, et les deux pour Amin sont étroitement mêlés.

Un beau film, émouvant, nécessaire, qui mérite amplement les applaudissements nourris qui ont suivi sa projection. On oublie presque que ce sont des dessins. Presque, car – et c’est là le seul défaut du film – le « frame rate » (nombre d’images par seconde) plutôt faible rend les gestes saccadés, le mouvement peu fluide. Une question de budget, comme souvent malheureusement.

La projection, qui a fait salle comble, était précédée d’une présentation par Jean-François Le Corre, fondateur de Vivement Lundi !, société rennaise coproductrice du film, et suivie d’une rencontre avec deux membres de l’équipe créative : Véronique Cabezza, cheffe couleurs, et Sylvain Lorent, chef compositing.

Le film sortira en salles le 24 août prochain.

Des animateur·ices en herbe

Mercredi 27 aux Champs Libres, l’artiste rennaise Janis Aussel, illustratrice et réalisatrice de films d’animation spécialisée dans la technique du papier découpé, venait présenter avec trois élèves les deux courts métrages réalisés au cours d’une résidence avec une classe de 5ème du collège rennais La Binquenais.

Ce projet développé sur plusieurs semaines s’est fait en collaboration avec l’association Trans Musicales, notamment par l’intermédiaire de sa chargée de l’action culturelle, qui était aussi présente. Il a abouti à deux films d’une minute trente chacun, réalisés en papier découpé, tous les deux en rapport avec la musique : l’un sur les rôles d’interprète et régisseur·se, l’autre sur le rap.

En amont de ces réalisations, les élèves s’étaient rendus à la salle de concert l’UBU, où ils avaient pu rencontrer et échanger avec des musiciens et techniciens, et suivre l’organisation d’un concert.

En plus de la projection des deux films, l’artiste et les élèves ont présenté le travail préparatoire effectué sur plusieurs séances : écriture du script, storyboard, création des décors et des personnages, enregistrements sonores…

Ces films, faits avec peu de matériel et en un temps très limité, ont montré que l’on peut faire de l’animation avec pas grand-chose… ou avec tout. Et c’est l’un des enseignements du festival en général : on peut se servir d’absolument tout pour faire de l’animation. Seules qualités requises : de l’imagination et surtout beaucoup, beaucoup de patience.

Qui sait ? Cet atelier aura peut-être suscité des vocations, chez les élèves comme chez le public curieux venu assister à cette démonstration…

Des Grands Prix et un petit bijou pour finir en beauté

Le Festival s’est terminé le mercredi soir au TNB avec l’officielle soirée de clôture. Au programme : cérémonie des Grands Prix et projection en avant-première mondiale (!) de la version restaurée de L’Idée, seule œuvre subsistante de Berthold Bartosch, datée de 1932.

Six prix et deux mentions spéciales ont été remis lors de cette soirée. Voici le palmarès :

  • Grand Prix du court métrage professionnel : Terra Incognita, d’Adrian Dexter et Pernille Kjaer ;
  • Mention spéciale pour un court métrage professionnel : Deux sœurs, d’Anna Budanova ;
  • Grand Prix du court métrage étudiant : Au revoir Jérôme !, de Chloé Farr, Gabrielle Selnet et Adam Sillard ;
  • Mention spéciale pour un court métrage étudiant : L’Immoral, d’Ekin Koca ;
  • Prix de la composition originale pour un court métrage professionnel : Meindersma Bram pour Luce et le rocher, de Britt Raes ;
  • Prix SACD pour un court métrage étudiant : Les Larmes de la Seine, de Y. Belaid, E. Benard, A. Letailleur, N. Mayeur, E. Moulin, H. Pinot, P. Singer et L. Vicente ;
  • Prix du public pour un court métrage professionnel : Les Liaisons foireuses, de Chloé Alliez et Violette Delvoye ;
  • Prix André-Martin pour un long métrage : La Traversée, de Florence Miailhe.

La soirée s’est donc terminée avec la projection de L’Idée, court métrage de 25 minutes réalisé par Berthold Bartosch. La séance a été précédée de l’intervention de Jean-Baptiste Garnero, chargé d’étude pour la valorisation des collections du CNC, à l’origine de la restauration de ce trésor presque centenaire. Une restauration compliquée, les négatifs ayant disparu il y a longtemps, brûlés par les nazis.
Berthold Bertosch, cinéaste d’origine allemande né en 1893 et mort en 1968, a réalisé ce film en papier découpé presque à lui tout seul, dans les combles du théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, créant les décors aussi bien que les effets spéciaux, inventant des procédés qui allaient ensuite être repris par d’autres cinéastes.
Ce film est inspiré du livre de gravures sur bois du même nom de l’artiste belge Frans Masereel, une sorte de biographie tout en images racontant la vie d’une idée, qui prend les traits d’une femme. Une idée qui naît dans l’esprit d’un homme et qui grandit, s’épanouit, s’échappe et se propage, gagnant tous les esprits libres.
Le Français Arthur Honegger a composé la musique du film, intégrant à son orchestration – grande nouveauté – les ondes Martenot, instrument de musique électronique créé quelques années plus tôt.
L’Idée est considéré comme le premier film d’animation « sérieux », parce qu’adressé aux adultes, dans un genre jusque-là plutôt destiné à un jeune public. Ce film donne matière à réflexion. C’est une ode à la liberté et à l’imagination, qui ne manque pas de rappeler que la première n’est jamais garantie, sauf à posséder la seconde. Cette soirée de clôture se termine donc sur une ouverture, et c’est sans doute une bonne chose. Ce festival est terminé, mais nous n’avons jamais fini de nous interroger.

« Les hommes vivent et meurent pour une idée
Mais l’idée est immortelle.
On peut la poursuivre, on peut la juger, on peut l’interdire, on peut la condamner à mort
Mais l’idée continue à vivre dans l’esprit des hommes. »
Début de L’Idée

Une 28ème édition du Festival National du Film d’Animation très réussie. L’occasion, pour le public comme pour les professionnels, de constater la belle vivacité du cinéma d’animation français – et de se rassurer, si besoin est : l’imagination et la créativité ont encore de beaux jours devant elles. Tant qu’il y aura des gens pour penser, il y aura des idées. Et tant qu’il y aura des idées, il y aura matière à créer. Tâchons seulement de préserver le formidable terrain de jeu qui nous a été alloué.

Clap clap de fin. Rendez-vous l’an prochain.

Written By: Anne Fontanier-B