Festival Travelling : le puzzle Taïwan

Travelling n’est pas seulement un festival de cinéma, Travelling est un immense puzzle qui donne à construire le tableau singulier d’une ville, ou plutôt d’un pays. Clair Obscur dresse les contours dans un programme dense, et c’est au spectateur de sélectionner ses pièces pour ériger l’horizon d’un territoire. Le P’tit Rennais s’est aussi pris au jeu de l’esquisse. Sans boussole, nous avons plongé dans la complexité de Taïwan. Voici notre triptyque :


Taïwan, modèle démocratique

Depuis quelques années, Taïwan est devenu une référence en matière de démocratie. Classée au premier rang mondial de la liberté d’expression et des médias, sa capitale Taipei, est le symbole du progressisme et de la modernité, avec ses avancées technologiques et ses réformes gouvernementales en faveur du mariage homosexuel. On a vu dans le documentaire Turning 18 comment cette modernité était un levier émancipatoire pour une jeune fille homosexuelle aborigène, qui, cloisonnée dans la précarité, la violence et les codes sociaux de sa communauté en perdition, parvient à trouver sa liberté auprès de la communauté queer de Taipei.

Mais parmi les huit films que nous avons vus jusqu’à présent, tous se heurtent au conflit entre modernité et attachement au passé. Qu’il s’agisse d’une toile de fond comme dans Taipei’s Story d’Edward YANG, ou au cœur du court-métrage The Clock de Singing CHEN, les images de la gentrification, des démolitions de vieux bâtiments, des mutations de quartiers nourrissent notre impression de l’avalement de la ville par la modernité.  Il n’est pas si facile pour tout le monde d’y trouver sa place. Singing CHEN nous montre que ces transformations géographiques retranchent beaucoup de taïwanais vers la nostalgie.

Un modèle avec des failles

Taiwan ne s’est pas bâti en un jour. Avant de recevoir ses médailles de gouvernement modèle, le pays a aussi fait subir des inégalités, à commencer par celles entre les hommes et les femmes. Enterrée dans les années 80, la trilogie féminine de la cinéaste taiwanaise Mi-Mi LEE était déjà avant-gardiste. Dans son fim Unmarried mothers (restauré récemment par le Taiwan Film and Audiovisual Institute), nous découvrons la vie de jeunes mères célibataires étouffées par les codes sociaux de l’époque. Poussée à faire adopter leur enfant pour ne pas entacher leur réputation dans la perspective d’un bon mariage, l’héroïne du film lutte pour garder son bébé et devenir indépendante. Aujourd’hui, le film amuse et semble ne pas aller au bout de son propos féministe, tant le monde a changé. Mais il est déjà précurseur, dans les années 80, d’une volonté d’émancipation des femmes.

Ce qui a moins changé sans doute, c’est la question de l’immigration. TSAI Ming-Liang né en Malaisie, Midi Z en Birmanie, HO Hsiao-hsien et Edward YANG en Chine…En feuilletant les biographies des cinéastes, on s’aperçoit que beaucoup sont d’origine immigrée. Si certains d’entre eux filment les mérites du pays, d’autres s’emparent de la caméra pour dénoncer sa facette sombre. Oui, comme toutes les démocraties du monde, Taïwan a aussi ses failles. De la même façon qu’on discute et qu’on critique le « rêve américain », le film The Lucky Woman de TSENG Wen-Chen discute et critique le « rêve taïwanais ». Pendant une heure et demie, ce documentaire nous mène sur les traces de travailleurs immigrés clandestins. Angoissés à l’idée de se faire attraper par la police, ces hommes et ces femmes s’éreintent dans des emplois non déclarés afin de subvenir aux besoins de leur famille au Vietnam. Leurs conditions de travail sont dures pour un maigre pécule, mais l’adelphité de la diaspora vietnamienne crève l’écran et nous fait croire que malgré la dureté de leur vie, l’humanité demeure au cœur de leurs préoccupations.

La question aborigène

Avant la colonisation chinoise, portugaise, hollandaise et japonaise, il y a ceux et celles que l’on nomme « aborigènes » ou « autochtones ». Minoritaires aujourd’hui, ces communautés ne représentent que 2% de la population à Taïwan et vivent en marge des cités urbaines. Leurs traditions, mises à mal par les colonisations successives et le développement de nouvelles cultures, « attirent cependant la jeunesse », nous indique un intervenant avant la projection de Turning 18 de HO Chao-Ti, un documentaire sur des jeunes filles autochtones qui s’interrogent sur leur émancipation à l’orée du passage à la vie adulte. En effet, si le pays peut se targuer de son caractère cosmopolite, il n’empêche que l’identité demeure une zone de flou. Alors, les communautés indigentes deviennent comme un point de référence dans cette opacité ethnique.

« Dans la région de Hulian, les habitants sont des gens simples et travailleurs. C’est pourquoi c’est un endroit parfait pour l’industrialisation » annonce d’une voie enjouée un extrait de film propagandiste dans le film Turning 18. S’ensuivent des images d’archives sur une exploitation de calcaire, puis sur une usine à ciment. Cette séquence fait tout à fait écho au film Voices of Orchid Island de HU Tei Li, cinéaste aborigène, qui documente la vie du peuple Tao. Cette projection présentée par l’association Comptoir du Doc, met en exergue les rapports complexes entre les habitants de l’île et les métropolitains venus bousculer l’harmonie… S’il ne s’agissait que de photographies prises à la volée par des touristes sans l’accord des membres de la tribu, mais non, il est aussi question de s’accaparer certaines terres de l’île pour y enterrer des déchets nucléaires, car, « il n’y a pas beaucoup d’habitants ici, et ces déchets n’ont rien de dangereux ». Les habitants de l’île y voient la preuve que le gouvernement veut anéantir leur ethnie. Alors oui, restaurer la mémoire des peuples aborigènes à une époque où la question de l’identité devient centrale, mais arranger les erreurs du passé, c’est autre chose. Aujourd’hui, le gouvernement reste toujours sourd aux revendications du peuple Tao concernant le retrait des déchets nucléaires.

Recommandations

Il ne reste plus que deux jours pour voyager à Taïwan depuis les fauteuils du cinéma. Pour finir les festivités en beauté, le P’tit Rennais vous propose quelques films cultes à (re)découvrir sur grands écrans, pour ajouter du relief à notre peinture taïwanaise.

Lundi 26 février :

  • 16h – Cinéma Arvor : Les Rebelles du dieu néon, de TSAI Ming-Liang
  • 18h15 – Tambour : Dragon Inn, de King HU

Mardi 27 février :

  • 19h30 – Cinéma Arvor : A Touch of Zen, de King HU
  • 20h30 – TNB : Millenium Mambo, de HOU Hsiao-Hsien

Written By: Lorène Hivet