La fièvre étudiante

Avec tout ça, tu commences à alimenter une défiance, jusqu’à ne plus trouver de sens à tes études, au travail que tu fournis. Tu te poses plein de questions surtout -et c’est la pire durant ce genre de période- « de toute façon, à quoi bon ?” (L., étudiant)

Cela fait désormais près d’un an que nos interactions, nos déplacements ainsi que nos achats sont contrôlés et limités. Presque un an depuis que nos efforts individuels sont censés influer sur le bien commun et la santé publique. La situation sanitaire, personne ne peut réellement la prédire ni la contrôler de la même manière que l’on contrôle nos vies, et pourtant, celle-ci semble reposer sur la seule volonté des citoyens. Parmi eux, la masse étudiante se fond, se confond et, parfois, se noie.

31 % des étudiants interrogés ont présenté les signes d’une détresse psychologique pendant le confinement

selon une étude de l’OVE

Étant moi-même étudiante et travaillant dans un bar à côté de mes études, je me sens plus que jamais inutile. J’ai atteint ce moment fatidique où je me rends compte que j’ai autant travaillé que j’ai été payée en terme de chômage partiel. Ce constat m’a dans un premier temps fait rire nerveusement, avant de me faire me questionner quant à ma contribution au monde. Qu’est-ce que je peux lui offrir ? Comment apporter ma pierre à un édifice qui n’a tout bonnement pas besoin de moi ? Au-delà même du fait de cette sensation de ne pas mériter le salaire que je touche, un énième doute vient me titiller dans mes questionnements. En tant qu’étudiante en dernière année de licence, je me retrouve face à cette difficulté de voir le bout du tunnel. Comment trouver un stage ? Est-ce que mes études seront prises en compte lorsqu’on apprend que certaines facultés vont valoriser des examens passés en présentiel, alors même que ces examens en présentiel ne sont tout simplement pas faisables ? Vais-je être acceptée dans le master de mon choix ? Vais-je continuer mes études ? Au cours de ces derniers mois, nous avons été confinés à deux reprises, pour une durée totale de 3 mois et 15 jours ; et ce sans compter les nombreuses périodes de flou, avec notamment les couvre-feux et les nombreuses restrictions concernant le domaine culturel. En clair, cela va bientôt faire un an que nos vies n’ont plus été « normales »

De la fièvre du jeudi soir…

Dans un premier temps, la mélancolie, facilitée par ces longues périodes où nous nous retrouvons confrontés à nous-même. On se remémore tout ce qu’on pouvait faire auparavant dont on n’a pas assez profité, tous ces instants, ces bribes de moments si naturels qu’on ne pensait même pas à les chérir. Ces petites bribes, c’est surtout des petits détails de vie qui nous échappent, comme par exemple la saveur d’un café en plein après-midi, accompagné d’un ami, ou tout simplement ces plans quelque peu imprévus qui naissent au milieu de la nuit, les longues minutes d’attente avant d’aller en boîte en entendant au loin de grondement des basses, le fait de devoir pousser, escalader la masse pour pouvoir demander en criant un verre au barman. Voir Rennes aussi vide nous apporte un drôle de sentiment. On se remémore ces soirées pas réellement glorieuses dans la célèbre rue de la soif, l’odeur d’alcool, de cigarette et de chaleur humaine, les événements musicaux sous le kiosque du Thabor, l’été surtout. On se souvient du métro bondé le matin avant d’aller en cours ou au travail, le restaurant universitaire, les amphi, les emplois du temps hasardeux… Évidemment, on se plaignait du centre-ville bondé, des professeurs parfois soporifiques, du prix de certains bars, du froid l’hiver, des nombreuses manifestations perturbant le trafic, de tous ces détails insignifiants qui constituent un quotidien à Rennes.

Ce qui me manque le plus, c’est tout ce qui est maintenant fermé.

M., étudiante

Alors, lorsque nous nous sommes tous retrouvés enfermés, aussi bien physiquement que mentalement, nous nous sommes remémorés tous ces moments passés. Puis nous avons vu tous nos plans futurs tomber à l’eau, qu’il s’agisse de voyage, de festival ou encore d’anniversaire ou de mariage. On se rend compte petit à petit que rien ne sera plus comme avant. Pour beaucoup d’étudiants, le premier confinement fut compliqué à gérer sur plusieurs plans. Personne ne sait réellement trop comment procéder pour gérer au mieux une telle situation, tout simplement puisque nous n’avions jamais été confrontés à une telle crise sanitaire, économique, sociale. Occuper les vides, avoir la sensation que chaque jour passe et ressemble à la veille, essayer de gérer notre budget au mieux, s’ennuyer, attendre, trouver des occupations diverses et variées, assister aux cours, tenter de nouvelles recettes de cuisine. Personne n’aurait pu s’imaginer une ville étudiante telle que Rennes passer de moments d’euphorie et de fête à ces moments fantomatiques où l’on traverse cette même ville, vide, comme à l’arrêt.

… à la fièvre étudiante

Les premières incertitudes passées, la situation sanitaire s’éclaircit, les masques ne sont plus en pénurie, les commerces commencent peu à peu à reprendre leur rythme habituel. Ce qui pourrait ressembler à une “trêve” nous laisse vivre un été plus ou moins serein, qui nous fait parfois oublier ces menaces de reconfinement et de maladie qui flottent au-dessus de nos têtes. En fonction des établissements d’études, la rentrée s’est déroulée de manière soit complètement banale, soit en semi-distanciel ou alors essentiellement à distance. Difficile de nouer une quelconque relation dans un contexte si particulier. Les étudiants sont isolés. Les mesures répressives reviennent. Fermeture de certains établissements, parmi eux, ceux qui n’ont pas même pu rouvrir durant la trêve estivale, couvre-feu, et enfin, le tant et redouté retour du confinement, le “confinement 2.0”. Pour certains, ce deuxième confinement est synonyme de rechute, une santé mentale déjà fragilisée par le premier n’augmente que le risque de sombrer de nouveau. Pour d’autres, ce deuxième confinement paraît plus facile à gérer.

C’est très difficile de trouver la motivation de travailler quand la seule interaction que tu as c’est avec un écran d’ordinateur.

L., étudiant

Bon nombre d’étudiants se trouvent tout à fait désoeuvrés, lassés, démotivés. Les cours à distance demandent davantage d’organisation, il faut croiser les informations, savoir quel est le lien de réunion en visio de tel cours, jongler entre sa boîte mail étudiante et personnelle pour ne louper aucune information. “Les politiques pensent que les cours à distance sont une bénédiction pour nous, alors que c’est un enfer”, déclare A., étudiante rennaise en Erasmus en Espagne, avant de rétorquer :on nous empêche d’avoir un rythme de vie correct, d’avoir une sociabilité.”. En effet, il faut non seulement gérer ses études, mais également sa santé globale, son bien-être, ce qui n’est plus si évident en des temps si particuliers.

manifestation des étudiants fantômes à Rennes le mardi 26 janvier 2021 © Joel LE GALL/Ouest-France

L’OVE, Observatoire national de la Vie Étudiante, a réalisé une étude sur “la vie d’étudiant·e confiné·e” (à laquelle vous pouvez accéder en cliquant juste ici), dans laquelle la détresse psychologique des étudiants lors du premier confinement est mise en lumière. 50 % des étudiants interrogés ont déclaré avoir souffert de solitude ou d’isolement pendant le confinement. A ce jour, le renforcement de la précarité des étudiants lors du confinement n’est plus à prouver. Cette période hors du temps a d’ores et déjà fait plusieurs victimes. Il ne s’agit pas des étudiants qui s’expriment enfin, mais bien de la représentation de leur voix et de leur vécu. Ce phénomène est finalement nommé : les étudiants fantômes. Les témoignages fleurissent sur l’espace public. Il suffit d’aller faire un tour sur le hashtag #EtudiantsFantome sur Twitter pour se rendre compte de l’étendue du problème.

C’était plus éprouvant mentalement, puisque c’était plus inédit, on rentrait dans la période maussade de l’automne alors forcément on avait moins de choses à quoi se rattacher.

J., étudiante

Alors que reste-t-il comme solution à un mal-être si particulier et inédit ? Pas grand chose à vrai dire, le simple fait de se renseigner et d’écouter les plus concernés participe à la prise en considération de la situation. Ensuite, il faut espérer que les bonnes personnes ayant leur rôle à jouer sauront écouter et réagir en conséquence. A ce stade, une aide financière n’est plus suffisante, il faut réfléchir à de nouveaux moyens d’assister aux cours et prendre en charge la santé mentale de chacun, ou du moins, se rendre compte de sa détérioration. Les retombées d’une crise sanitaire de telle envergure nous affectent tous d’une certaine manière, c’est le moment adéquat pour réfléchir à ce que celle-ci provoque dans différents domaines et réfléchir à ses finalités ensemble.

Written By: Clarisse Chareille

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