L’ambiguïté et le fatalisme du film noir, un parallélisme avec la pandémie

Le film noir est sans doute l’une des compositions cinématographiques les plus ambiguës. Pourtant, il est très bien défini si nous regardons les éléments qui le composent. L’éternelle question qui se pose chez les cinéastes autour du syntagme : le film noir est-il considéré comme un genre, une période historique ou un « simple » courant ? Et ce confinement, va-t-il s’installer chaque printemps ou est-il passager, ne laissant, dans le meilleur des cas, qu’un mauvais souvenir ?


Certes, nous vivons un moment incertain, avec des informations qui vont et viennent, qui ont leurs propres personnages, des bons et des méchants tel un film noir et ses gangsters et policiers. En effet, dans le film noir, il n’y a pas de place pour le gris dans le nuancier, et cela entraîne le manichéisme que l’on retrouve dans ce genre de long métrages. A ce sentiment, s’ajoute souvent celui de divagation, d’errance, assez courant également. Il paraît être de même pour cette période où il est de plus en plus difficile de trouver des réponses car l’incertitude prend tout son essor.

Le concept forgé par Nino Frank en 1946 a été admiré et rejeté à parts égales dans le monde entier. C’est la monotonie de ses images, en noir et blanc aux origines, qui a rendu cette composition idéalement ambiguë et fataliste. Toujours le même mood, le même ton, les personnages solitaires, la bouteille et le cigare. Le bloc notes journalistique arraché, finement tâché par la cendre et le café… Les stéréotypes sont à souhait dans les ouvrages américains des premières années. Des histoires avec une forte intrigue, comme celle que nous vivons actuellement.

La grande alliée des « confinés » et des cinéastes : la littérature

Le terme » film noir » pourrait être originaire de la revue Black Mask des années 20. En France, la Série Noire de Gallimard parue en 1945 fait partie des origines de l’adjectif « noir » qui figure dans l’ensemble « film noir ». Ce genre entremêle des histoires de séduction, pouvoir et violence en donnant voix à la lourdeur quotidienne et la noirceur cachée dans les chambres, les ruelles américaines, les chapeaux des détectives et la fumée qui donnent contour aux figures de la nuit. Encore une fois, l’inconnu, la solitude, sont des mots qui évoquent les ressentis du confinement actuel.

L’origine du genre peut être aussi expliquée par une suite d’ouvrages littéraires que nous avons voulu sélectionner puisque la liste aurait été infinie. Le rôle de la littérature est indispensable pour comprendre la réalisation a posteriori des films considérés noirs. Une poème de Goëthe comme Le Roi des Aulnes a suffit pour alimenter le courant littéraire qui a de même nourri les scénarios des films dits de façon très banale, même grossière, de gangsters et femmes fatales. Dans la même ligne, une poétesse contemporaine de la taille de Goëthe, Emilie Dickinson, met en valeur les ombres dans ses récits pour annoncer la vague de film noir alimentée ensuite par l’expressionnisme allemand.

Côté romancier, Ann Radcliffe, Daphne du Maurier et Elizabeth Mackintosh (plus connue sous le pseudonyme de Josephine Tey) sont des auteures qui ont secoué la plume jusqu’à la faire saigner. Sur les écrans, des actrices comme Lauren Bacall ont donné voix et puissance au contenu élaboré des écrits de Dickens et Wilde. Il est juste de soulever que la méfiance de ce dernier par les femmes a construit des prototypes comme celui de l’inébranlable Marlene Dietrich.

Les pulp fiction ne sont que des Big Kahuna burgers

Le burger le plus connu au monde provenant de la réplique de Pulp Fiction fait partie du néo-noir. Mais le reste de « pulp fiction » de Raymond Chandler et les écrits et articles sur les codes du film noir de Paul Schraeder ont configuré une mentalité envers ce genre apocalyptique, si nous le regardons de près, de l’humanité qui se bat en solitude contre un monde incertain et malade.
La féconde réalité entre le cinéma et la société de l’époque est un fait. Les années folles laissent la place à l’insécurité des 30 après le crack en donnant des sous-trames encore plus endurcies. Nous pourrons voir des productions audiovisuelles plus obscures après le confinement, qui sait.

La suburbanisation dans la post-guerre a provoqué un cynisme et une aliénation globaux des citoyens selon les cinéastes et les réalisateurs de l’époque dans les années 30 et 40. Aujourd’hui, nous sommes en train de nous isoler et nous sommes aussi cyniques en face du système qui a pour but de mettre en lumière des informations. Méfiance et espoir comme éternels rivaux qui se tiennent la main. Enfin, de façon cinématographique, nous pourrions dire que le monde aujourd’hui est tel que nous le voyons dans le champ de vision de James Stewart dans Fenêtre sur Cour, a travers son Exakta Varex VX.

Côté journalistique, le film noir est d’après de nombreux critiques français, une façon de voir le monde. Comme diraient les jumeaux Michael et Jay Aston, deux rockeurs britanniques, « c’est juste une illusion, un piège. Un piège de la lumière. Et le monde se met à l’envers ».

Scarface, 1932

Written By: Laura Jones

Journaliste passionnée du septième art et l'espace numérique. Je me balade entre la comm et le storytelling. Créatrice du verbe to hitchco(o)ck.

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