Lord Esperenza : « La création autocentrée ne peut pas se pérenniser parce qu’un ego a ses limites. »

Lors du festival Bars en Trans, nous avons rencontré Lord Esperenza et Nelick. Dans la joie et la bonne humeur, nous avons passé un très bon moment avec les nouvelles (jeunes) têtes du rap français.  


Lord, je t’ai connu grâce à ton E.P « Drapeau Noir ». Les titres qui m’ont le plus marqué sont  « L’insolence des élus » et « Drapeau Noir ». Quand tu as écrit ces sons, tu n’as pas eu peur d’être censuré ?

La censure je ne l’ai jamais crainte parce qu’en même temps ça ne reste que des propos puis on a quand même la chance de vivre et d’évoluer dans un pays qui n’est pas trop assujetti à ça. Espérons que je devienne assez influent pour craindre la censure.


Aujourd’hui, tu arrives avec ton nouveau projet « Polaroid » quels ont été les retours ?

Excellent, merci à tous les gens qui ont soutenu le projet et qui ont été là.


« Drapeau noir » je trouvais que c’était une introspection et Polaroid, les réponses à ces questions, une sorte d’accomplissement de toi-même… 

Effectivement, « Drapeau Noir » était un E.P assez thérapeutique. Dans Polaroid il y a plus de réponses, plus d’optimisme et plus d’espoir. « Drapeau Noir » est encore présent car il y a une partie de moi qui est encore extrêmement attiré par l’obscurité et par le vide abyssal que représente l’inspiration et les nuits noires. Mais aussi une grande volonté de donner de l’espoir.

Dans tes textes tu t’inspires beaucoup de ta vie, de la famille, des amis et de l’amour. Mais tu décris aussi le système, est ce qu’il n’y a pas un risque de se perdre entre description du système et le fait de parler de sa vie personnelle ?

C’est quelque chose qui est inhérent à ma personnalité, étant donné que j’ai pour habitude d’être autant toucher par des convictions personnelles : amour, trahison, amitié… Le morceau « Frère miroir » résume assez bien ça. Mais il y a aussi des choses beaucoup plus conscientes et moralisatrices puisque ça fait partie de ce que je suis. Le paradoxe c’est que je peux parler de ça en ayant des Nike aux pieds, et pourtant loin de moi l’idée un jour de ne pas changer et tenter d’être…


Ta musique est assez avant-gardiste par rapport à tes paroles et au message que tu portes, je dirais même que tu joues avec le temps.

Je ne sais pas si c’est forcément une bonne chose, parce que tu peux être avant-gardiste et effectivement ça peut être positif mais aussi négatif. Je pense à Van Gogh et d’autres artistes très créatifs qui finalement ont été reconnu post-mortem de par leur génie. Quoi qu’il en soit, c’est un très beau compliment parce que je ne sais pas quoi répondre.


Au niveau de la production, tu as bossé avec Majeur-Mineur sur l’intégralité du projet « Drapeau Noir », est-ce que tu as bossé avec d’autres beatmakers sur Polaroid ?

Oui, mais Majeur-Mineur est présent sur 13 morceaux sur 16. Il en a co-produit la plupart avec Ibø, Sam H et Anaika. Il a un rôle fondamental parce que c’est à la fois mon DJ scénique et un pilier car il me donne autant de conseils humains qu’artistiques et en plus de ça comme l’a si bien qualifié Nelick c’est « Manager-Mineur », il a la capacité de nous faire nous remettre en question et travailler sur l’humilité.

Tu reçois la production et tu écris ou tu écris et la production s’ajoute par-dessus?

Ça dépend du moment, on se laisse parler, on s’écoute et on s’entraide. Je reçois souvent la production avant et j’écris. Il est très rare que ce soit dans le sens inverse. Parfois on fait la production ensemble et je donne mon avis.

Est-ce que la starification te fait peur ou tu arrives à la gérer ?

Lord Espereneza x Nelick © Nora Khalloul

Ça me rappelle ce qu’on disait de Roméo Elvis il y a un an, d’ailleurs on a fait un morceau ensemble, plein d’amour sur lui, il m’a apporté énormément de soutien. Ce serait mentir que de dire que ça ne nous fait pas peur mais d’un autre côté, on est très honoré parce qu’on se rend compte que notre musique nous permet de toucher les âmes au plus profond, ça dépasse le divertissement.

Nelick, t’en pense quoi ?

Je suis d’accord avec ce que dis Lord, ça fait peur parce qu’on se dit que tout va très vite, c’est qu’on kiff tellement cette vie en ce moment, mais il se peut que demain on soit obligé de trouver un travail comme tout le monde.

Nelick, le blaze vient d’où d’ailleurs ?

C’est simplement mon blaze à l’envers.

Par rapport à cette nouvelle génération de rappeurs comme Nelick justement ou bien Népal, Sirap, Rilès,Youv’Dee… Est-ce que c’est bon pour le rap français selon toi ?

Complètement, je pense que le rap français est en train de connaître un nouvel essor, un nouvel âge d’or. Ce n’est pas un hasard si des gloires du passé se ré-intéressent et commencent à investir humainement et artistiquement sur des nouveaux artistes. Je pense à Oxmo Puccino qui a travaillé avec Georgio, par exemple.


Quand tu composes un son, est-ce que tu penses à cibler tel ou tel public, ou bien tu crées, et tu vois après qui ça touchera le plus ? 

Est-ce que tu crées pour toi ou est-ce que tu crées pour autrui… J’ai longtemps crée pour moi mais plus j’avance et plus je me rends compte que la création autocentrée ne peut pas se pérenniser parce qu’un égo à ses limites… Alors que quand tu crées pour autrui, tu es dans le partage et la seule frontière c’est l’amour.


Quelles sont tes inspirations littéraires, ton nom Lord Esperanza c’est bien venu du roman de Michel Tournier « Vendredi ou la vie sauvage » ?

Oui c’est venu de la lecture du bouquin et indirectement, le mot m’avait parlé et ça va peut-être paraître étrange mais inconsciemment, je n’avais pas fait le rapprochement avec la notion d’espoir alors que c’est littéralement écrit. J’ai rajouté la particule « Lord » un peu plus tard. J’ai trouvé ce nom par rapport à l’aspect schizophrénique de mon personnage.

Est-ce que tu lis toujours aujourd’hui ?

Le plus souvent possible oui. J’ai beaucoup aimé le premier roman de Gaël Faye « Petit pays ». Maintenant, je me mets à « Crime et Châtiment » de Dostoïevski. Je fais ça à la salle de sport donc je cultive un esprit sain dans un corps sain (rires).

C’est la deuxième fois que tu viens à Rennes et là ce soir pour les Bars en Trans. Tu es chaud, prêt à tout donner ?

C’est ça, à fond ! J’ai rarement passé autant de temps avec le public après un concert que la dernière fois à Rennes, on est donc très heureux d’être de retour ce soir. La tournée continue avec plein de dates autour de la France dont par exemple Grenoble le 27 février, Sannois le 10 mars, Rouen le 21 avril ou encore Paris le 22 juin à la Gaité Lyrique. Et voilà, c’est tout. Non en vrai il y a une surprise… mais je viens de voir mon manager au loin qui me fait signe : tu n’en dis pas plus (rires).


Un petit mot pour le P’tit Rennais ?

Le mot de la fin : « ce n’est que le début ». Merci le P’tit Rennais pour l’amour, la force, l’intérêt, très belles questions et photos, beau partage.

Written By: Le P'tit Rennais

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