Mikhaël Hers : “Les films sont imparfaits comme les gens, il faut les prendre comme ça.”

De passage à Rennes à l’occasion du Festival Travelling, le réalisateur parisien Mikhaël Hers s’est confié au P’tit Rennais. Une entrevue intimiste, au plus proche de son public qui visionne “Ce sentiment de l’Été” à l’Arvor dans une salle attenante.


Travelling, c’est un festival que vous connaissez bien ?

MH: Oui, je suis venu présenter mes premiers films. J’y étais passé il y a deux ans déjà.

Certaines de vos scènes ont été tournées à Rennes ?

MH: Certaines de mon premier long métrage au lycée Zola, Memory Lane.

Est-ce qu’il y a un lieu en particulier dans lequel vous aimeriez tourner un futur projet qui vous tient à cœur ?

MH: Oui, il y en a plein mais j’aimerais bien tourner à l’étranger. Ça permet de se mettre en danger. Tourner ailleurs que chez soi, créer une bulle avec toute l’équipe. Un moment comme ça un peu en dehors du temps, qui est assez précieux, qui crée des complicités. J’ai adoré tourner dans une langue étrangère car c’est un autre rapport au réel, à la fiction. C’est très décomplexant.

 Il y a des gens avec qui vous êtes devenus ami sur des tournages ?

MH: Oui, bien sûr. On fait des métiers où il faut être proche des gens, avoir de l’affection pour eux sinon c’est difficile de travailler dans ces milieux. Ça crée des liens forts.

Mac DeMarco, il est aussi cool en tournage qu’en chanson ?

MH: Il était très cool, très sympathique, très disponible. Je ne le connaissais pas au moment où je suis arrivé à New York pour tourner. Mais il y avait une personne qui s’occupait des repérages pour les tournages qui était très amie avec lui et qui passait son album en boucle dans la voiture. J’ai vraiment flashé sur les morceaux du coup elle nous l’a présenté.

Comment choisissez-vous les musiques de vos films ?

MH: L’alchimie musique image se fait vraiment au montage car c’est très dur de l’anticiper. Parfois, on a des idées de musiques et on les met sur les images et puis ça ne marche pas du tout, ça écrase. On définit au montage les plages musicales. On sait qu’à cet endroit là il y aura de la musique et à ce moment je fais intervenir un compositeur.

LPR: Il y a des compositeurs avec lesquels vous apprécierez travailler ?

MH: J’adore la musique donc bien sûr, plein. Mais ce sont généralement des gens qui ne sont pas abordables. Je suis absolument fan de Morricone, mais il ne compose quasiment plus maintenant. Sa musique me bouleverse. C’est un génie absolu.

LPR: Est-ce que vous avez un film à nous conseiller pour ressentir des émotions fortes ?

MH: il y en a plein, c’est difficile à dire ça. Be with me de Eric Khoo. C’est un film qui m’avait beaucoup touché.

Le deuil revient souvent, pourquoi ce motif récurrent ?

MH: Je ne sais pas. Ce sont des choses qui nous dépassent. C’est vrai que je parle très souvent des lieux et du sentiment de l’absence et de la disparition qui s’incarne de manière différente. Plus ou moins frontale, plus ou moins métaphorique ou abstraite. C’est vrai que c’est souvent le ferment, la sève, ce qui génère l’écriture, le besoin d’écrire chez moi.

Un mot sur Amanda ?

MH: J’ai l’impression que le film a touché. C’est toujours difficile d’expliquer un succès. Peut-être parce qu’on a réussi à trouver un biais qui permettait de rendre cette violence recevable, de créer du sens pour les gens.

La scène dont vous êtes le plus fier?

MH: Je ne pose pas la question dans ces termes. On est satisfait, pas satisfait. Je suis à la fois très heureux, très fier qu’ils existent. Parce que ce sont des périodes de vie. Et en même temps, il y a toujours des choses qu’on ne trouve pas bien. Les films sont imparfaits, c’est comme les gens, il faut les prendre comme ça. Ce sont des démarches, des pierres que l’on pose. Une idée, c’est un tout, avec les imperfections qui vont avec.

Vous appréciez revoir vos films ?

MH: Non, je ne les revois pas. Ce n’est pas un geste que je fais naturellement. Je préfère voir des films que je ne connais pas, d’autres personnes. Et puis surtout, ça prend beaucoup de temps de faire un film donc on a aussi vraiment besoin de se dire qu’on est capable de faire autre chose, d’avancer. Je suis plutôt obsédé par l’idée de faire le prochain plutôt que de revoir le précédent.

Comment choisissez-vous vos acteurs ?

MH: En casting très souvent. Ou alors soit dans des films que j’ai vus et que j’ai aimés. J’écris souvent une petite séquence qui n’est pas dans le scénario et je la fais jouer. Et je vois si la mélodie qu’ils ont en tête correspond avec ce que j’écris et puis voilà ça se fait comme ça. Je n’ai jamais écrit pour un acteur.

Et Vincent Lacoste ?

Vincent Lacoste est apparu comme une sorte d’évidence. Pas tant parce que je l’avais vu jouer. Mais il se dégageait quelque chose de lui qui me touchait beaucoup. J’avais l’impression que pour porter ce personnage, dans ce drame sombre et dense, il fallait quelqu’un qui avait une forme de luminosité. Et lui, il a ça.

Est-ce que vous avez des secrets pour réaliser des films avec autant de profondeur?

MH: J’essaye de faire les choses de la manière la plus sincère possible. Essayer de restituer ça avec le plus d’honnêteté possible, le plus de vraisemblable. Mais après c’est très subjectif car mon vraisemblable n’est pas du tout le même qu’un autre. Chacun a une manière de s’emparer de son réel à sa manière. Je vais au cinéma pour me sentir compris, pour que ça parle à la solitude des gens, à leur fragilité, à leurs frustrations. C’est ça qui m’intéresse plutôt qu’essayer de faire un cinéma qui gonfle les « biscotos ».

Vous ne voudriez pas faire de comédie ?

MH: Si pourquoi pas. Mais il faut être très talentueux pour faire une bonne comédie. C’est très dur. Je pense que c’est beaucoup plus dur qu’un drame. Faire une comédie profonde et très drôle, il y a peu de gens qui ont le talent de ça. Je n’ai pas réussi pour le moment, mais j’adorerais faire ça.

Vos cinéastes préférés ?

MH: Je ne suis pas forcément fan des grands faiseurs qui sont capables de s’emparer de plein de styles ou de sujets différents. Ce qui me plaît c’est de retrouver des films comme je retrouverais les cartes postales d’un ami. Savoir que c’est la seule personne qui peut faire ça. Rohmer c’est le plus évident que je puisse répondre, après c’est plein de styles que j’aime, de gens très différents.

Comment vous est venu le cinéma ?

MH: J’avais envie de faire ça depuis que j’étais enfant en fait. Mais comme je n’avais aucune connexion dans le milieu, j’avais l’impression que ce n’était pas fait pour moi. J’étais sur le point de me mettre à travailler mais je n’allais pas être très heureux alors je me suis dit que j’allais essayer de tenter le concours de la Fémis ; que j’ai eu par chance, ce qui m’a permis de mettre en pratique ce qui n’était qu’une intuition abstraite depuis l’enfance et de découvrir qu’effectivement j’étais heureux quand je tournais. Un endroit où je me sentais bien, pas imposteur.

Un mot pour le public rennais ?

MH: Je suis très honoré d’être là. C’est une chance de voir que les films peuvent exister en dehors de l’actualité. On fait des films pour essayer d’inscrire quelque chose dans le temps, à sa petite mesure, à son humble mesure. Et de voir que les films, quelques années après qu’on les ait faits, il y a un cadre pour les montrer, c’est un grand privilège.

Written By: Jade Ropers

No Comments

Leave a Reply