Rentrez dans la tête de Deelay, avec son nouveau projet « Inner »

Ça fait un moment que Deelay est dans le paysage rennais du rap. Ses apparitions artistiques sont rares, c’est quelqu’un qui frise le perfectionnisme et qui prend le temps pour sortir des sons. Son projet qu’il nous aura teasé pendant tout ces mois, est enfin là, en écoute sur toutes les plateformes. Pour l’occasion, on est allés lui poser quelques questions sur le sujet.

Déjà, pour commencer, toi qui vis dedans, comment tu vois la scène rennaise rap en ce moment ?

Je l’observe à distance. Je n’estime pas vivre réellement dedans. Je connais des gens de différentes époques (étant rentré assez jeune dans ce paysage) mais je considère ne pas avoir une assez bonne vue d’ensemble sur la scène rennaise actuelle pour avoir un avis complet, découvrant encore de nouveaux artistes récemment. En tout cas, de ce que je vois, il y a dans la jeune génération des gens très motivés et talentueux qui montent des projets et se développent en s’entraidant donc c’est positif. Rennes a toujours porté de supers artistes (dans toute discipline) et a une vraie histoire hip hop.

On va évacuer vite fait la question du Covid, est-ce que cette période a été bénéfique pour toi ?

Elle a à la fois été très dure dans un sens, mais également très bénéfique. Une pièce a toujours deux faces. Ma vie n’a pas attendu le Covid pour connaître des contextes très complexes, et j’ai donc dû développer une force intérieure et une certaine résilience (thème central dans l’EP) bien avant ça. C’est durant ces deux ans que j’ai totalement arrêté de boire, de fumer, et que j’ai repris plus intensément le sport, tout en travaillant ma philosophie (chemin que j’emprunte depuis longtemps). Cette période a été dure mais a aussi permis de se recentrer, et de s’élever. Je pense que toute épreuve a du bon si on sait en tirer des choses, du moins c’est ma vision. Ce serait donc mentir de dire que ce fut simple, mais elle m’a permis de continuer mon travail sur moi-même et d’être meilleur.

Alors j’ai écouté ton album, plusieurs fois même, on ressent toute l’influence du Dojo Népal, Sheldon, Doums, cette école du rap qui reprend le rap de contestation avec une philosophie asiatique et des sonorités modernes. Et donc j’aimerais savoir comment tu fais tes instrus et avec qui tu bosses ?

Tu fais référence à des artistes de la 75e session, c’est un collectif qui m’a beaucoup influencé, que ce soit dans leur démarche ou dans leur proposition artistique. En effet, on peut le sentir dans l’EP. Au niveau de la composition des prods, c’est la première fois que je m’affirme et je me suis senti prêt à sortir des prods de ma création. J’ai produit entièrement 3 titres, j’en ai coproduit un autre et arrangé la majorité des titres. C’était le moment pour moi d’amener ma direction musicale, afin que cet EP me ressemble plus, j’attendais seulement le bon moment pour le faire.

Au niveau des instrus, je pars souvent de mélodies que je vais trouver, mais je peux également travailler à partir de samples. Et les textes et flows viennent souvent de la musique en point de départ. Le tout étant centré sur ma vision, que j’ai développée au fil du temps, et que je suis quand elle apparaît.

On peut également retrouver Roolio dans les productions, LinkShore, et STRWHR avec qui je suis dans le groupe Bienveillance, avec qui j’ai enregistré l’EP.

Quand on écoute ce que tu fais, surtout maintenant, on y voit aussi une grande mélancolie… Ça va Deelay, je veux dire, au quotidien ?

Merci de demander. C’est vrai qu’Inner porte une part de tristesse, mais il contient également de l’espoir au-delà de ça, c’est le message final. C’est comme cette part de nous lors des mauvais jours qui voit les choses de façon sombre, et derrière, notre part de raison qui permet de prendre du recul et de s’apaiser . Si ça peut te rassurer, dans la vie je suis quelqu’un de plutôt joyeux, et au fond un optimiste. Il faut, je pense. C’est le mental que j’ai développé à force de surmonter des obstacles. Si j’ai bien appris quelque chose, c’est que même dans les périodes les plus dures, il faut s’accrocher.. après la pluie revient toujours le beau temps.

Cet EP, ça fait un moment que tu le peaufine, c’est quoi un peu son histoire ?

C’est pendant le premier trimestre de 2021, à la sortie d’un moment compliqué, que j’ai voulu me relancer sur un projet. Il a fallu un temps de créations diverses sans direction, avant de trouver un concept et définir un axe et un plan. Le reste a suivi. L’idée sur Inner était de rentrer dans une sincérité poussée, et une introspection, et c’était un EP conçu pour sortir en hiver. Ensuite, j’ai pris le temps de bien travailler ces morceaux et de faire les choses de façon plus professionnelle qu’avant, le tout en indépendance, donc ça prend forcément un peu plus de temps.

Le rap, tu le vois comment dans quelques années ? C’est quoi la suite de la Drill par exemple ? Quand tu vois qu’un rookie comme Benjamin Epps pète tout les scores, ça te donne confiance dans le retour d’un rap plus Boom Bap ?

C’est dur à prédire car le rap se renouvelle sans cesse, et c’est précisément ce qui fait sa force et qu’on est encore là avec cette culture qui a plus de 40 ans. Dans le cas de la Drill, je trouve que peu de Français l’ont bien appliquée, et qu’elle commence à tourner en rond dans les productions, quand les anglais, eux, arrivent à en faire quelque chose qui prend d’autres directions (en terme de sonorités). En tout cas, il y a eu une période plus portée sur les mélodies ces dernières années, et effectivement, il y a un retour au kickage récemment (pas uniquement boom bap). Ce qui est positif, c’est qu’aujourd’hui, quoi que tu fasses, si c’est bien fait, je pense que tu pourras trouver ton public. Le rap est plus varié que jamais. Pour ma part, j’ai l’impression qu’on arrive au bout d’un cycle et que certaines formules beaucoup trop appliquées commencent vraiment à s’épuiser. C’est un moment où certains nouveaux vont commencer à tirer leur épingle du jeu et où une nouvelle phase va commencer. Le tout est d’avoir son propre délire et être authentique, et c’est ce que j’essaye de faire.

Il y a des dates qui vont arriver bientôt pour défendre ton projet sur scène ?

Pas dans l’absolu. Mais cela ne devrait pas tarder. J’attends d’étoffer un petit plus mon répertoire de nouveaux morceaux, et j’arriverai avec un live courant 2022, je l’espère. Je prends la scène très au sérieux donc je ne compte pas faire les choses à moitié, cela viendra donc en temps adéquat.

Et la suite ?

Je n’ai pas encore joué toutes mes cartes pour 2022… C’est tout ce que je peux dire. J’ai un plan défini en plusieurs étapes, et Inner n’en était qu’une étape. Vous découvrirez ça en temps voulu, mais c’est réfléchi. Je suis déjà en création de la suite des choses en tout cas, et je vais rester sur l’élan amorcé.

Un dernier mot pour le P’tit Rennais ?

Merci pour cette interview et pour le travail global que vous faites. Les médias sont tout aussi importants que les artistes, tout comme le sont les auditeurs. C’est un grand ensemble, mais votre rôle est très important, qui plus est en indépendance. Donc merci à vous pour ça, je vous souhaite plein de belles choses pour 2022 et pour la suite.

Written By: L'Hermite Sombre