Retour sur « Detroiters » dans le cadre de Travelling 2022

La 33e édition du festival rennais Travelling avait lieu du 1er au 8 février 2022. Cette année, le cœur du festival portait sur le cinéma tchèque et l’imaginaire cinématographique de la ville de Prague. Au-delà de l’accent mis sur la création cinématographique contemporaine, la Nouvelle Vague et le cinéma d’animation tchèque, plusieurs séances spéciales étaient programmées avec des films présentés en avant-première. Nous sommes allés voir le documentaire « Detroiters », réalisé par Andrei Schtakleff, dont la sortie est prévue en avril prochain.

Une question simple : Que reste-t-il quand la capitale mythique de l’automobile meurt ? Au cœur du documentaire : Detroit bien sûr, mais surtout ceux qui font la ville, ses habitants. Andrei Schtakleff explique avoir trop vu de photos et d’images – assez à la mode – de Detroit en ruines, créant une sorte d’effacement des habitants, et notamment des Afro-Américains et de leur culture, ce qui l’a amené à aller y voir de plus près.

Des paysages urbains d’hiver, un train, des maisons presque en ruines, des entrepôts et usines vides, la neige et le froid. Puis la caméra s’arrête sur un homme qui rénove sa maison avec très peu de moyens, et sur une femme, Sandra, qui détaille avec enthousiasme son projet collaboratif de construction autonome et écologique pour redonner vie à son quartier. Les habitants de Detroit se réapproprient leur ville, en reconstruisant leurs maisons, leurs quartiers, et veulent s’en sortir, coûte que coûte.

Si Detroit fut au XXe siècle le symbole du capitalisme américain, siège des plus grandes entreprises de l’industrie automobile, à partir de 1998, la ville fut secouée par la crise des subprimes et de l’immobilier puis fit faillite. Des maisons et quartiers entiers perdirent de leur valeur, la pauvreté se généralisa. Le foncier et l’immobilier sont au cœur des problématiques de la ville et sont peut-être encore plus prégnants que dans toute l’histoire des États-Unis. Ici, la question de la propriété foncière cristallise les sujets sociaux, économiques, raciaux, historiques. Aujourd’hui à Detroit, les promoteurs spéculent, des habitants développent des projets innovants et modernes, d’autres tentent de retaper leur maison afin de préserver leur « cocon » (s’il y fait chaud en été, les hivers y sont très froids) – chacun veut faire renaître son quartier. Dans une atmosphère hivernale, la caméra les suit, mus par leurs projets de rénovation, leurs rêves, leurs craintes. Certains se remémorent un passé glorieux, de jeunes Afro-Américains évoquent le racisme, d’autres, plus anciens, la « black culture » à laquelle ils sont liés par leurs ancêtres et par l’esclavagisme.

Detroit, c’est avant tout une ville à l’identité noire, et à l’histoire unique. Les grandes migrations du XXe siècle ont en effet conduit des millions d’Afro-Américains à quitter le Sud ségrégationniste pour trouver du travail dans les grandes villes industrielles. Cela a fait naître des choses exceptionnelles : dans les usines, du travail à la chaîne harassant est né un nouveau rythme. C’est le geste abrutissant répété des milliers de fois qui s’est transformé en quelque chose de novateur, la soul. Motown en est la réalisation parfaite : ce label, un des plus importants de l’histoire de la musique populaire, a été fondé à Detroit en 1959 et a mené la soul à son apogée dans les années 1960-70. Le « label Motown, [contraction de Motor Town, « la ville des moteurs »,] appliqua le fordisme à la création musicale pour en tirer le symbole de la pop music, au croisement entre la culture noire et la culture blanche. »[1]

La résilience des habitants est ainsi le mot d’ordre de l’histoire de la ville. Aujourd’hui, Detroit vit une renaissance : le contexte économique est meilleur, elle attire les entreprises et les projets se multiplient, de nouveaux habitants viennent y vivre. Elle revient à la mode. Mais ce n’est pas tout à fait le propos du documentaire. Que reste-t-il quand la capitale mythique de l’automobile meurt ? Il reste ses habitants de toujours ; de l’espoir, des ressources, de l’entraide et de la solidarité, de la débrouillardise. Les Detroiters veulent se reconstruire et pour cela se réorganisent en sociétés autonomes, créent des projets urbains innovants et croient en un futur meilleur.

Coline Etesse


[1] Émission France Culture du 15/09/2021 : https://www.franceculture.fr/emissions/sans-oser-le-demander/sans-oser-le-demander-emission-du-mercredi-15-septembre-2021#:~:text=Motown%2C%20l’un%20des%20labels,dans%20les%20ann%C3%A9es%201960%2D1970.

Written By: Le P'tit Rennais