Urgence sanitaire et inaction climatique : paradoxe de l’ère des catastrophes 2/3

En résumé, nous nous trouvons bien dans une situation peu enviable. A bord d’un navire mondial d’habitude si confortable et festif (du moins pour les passagers des premières classes), le récif inattendu du covid nous a heurté et nous a imposé à suspendre notre vitesse folle. Tandis que l’eau commence à remplir les bas-fonds du navire et à noyer les passagers les plus pauvres, certains ont l’occasion d’observer avec effroi la grande fragilité de la coque. C’est alors que le capitaine du paquebot, qui les a menés à vive allure dans ces eaux dangereuses en pleine nuit noire, les rassure : il a compris la leçon. Face à la catastrophe, Macron serait-il devenu un bon capitaine de navire ? Va-t-il, comme il l’annonce, faire preuve de prévoyance et de lucidité pour sauver le rafiot national des prochains périls ? Il est après tout encore permis, pour les plus rêveurs, d’espérer le retour à une mer apaisée…

fonçant à vive allure vers le danger !

Mais aujourd’hui le réveil est brutal tandis que tangue à nouveau le navire, pris dans une deuxième grande vague. Les promesses du capitaine résonnent aux oreilles comme de cruels chants de sirènes ayant pour seul but de nous apaiser avant de finir engloutis par les flots. Car le constat est amer : les exemples ne manquent pas pour apprécier le fossé qui sépare les discours catastrophistes des actes écologiques. Un an après son « Make our planet great again ! », notre capitaine adepte du libre-échange (ratification du CETA en 2019) et de la croissance reçut la démission de son ministre écologiste Nicolas Hulot qui, dépité, affirma « Je ne veux plus me mentir », ajoutant même qu’on « s’évertue à entretenir un modèle économique cause de tous ces désordres climatiques ».

Et, si les discours séduisants du président durant la crise sanitaire ont montré un changement de ton catastrophiste, ceux-ci sont à mettre en perspective avec les décisions et postures adoptées par le pouvoir en place depuis mars. On peut d’abord citer l’accueil réservé aux 150 propositions de la Convention citoyenne pour le climat afin de respecter l’Accord de Paris (que la France ne respecte aucunement depuis 5 ans). En effet, celui qui devait « se réinventer » commença par supprimer sans délais trois de ces propositions, dont celle visant à taxer 4% des dividendes des entreprises qui en distribuent plus de 10 millions annuels (« ce serait réduire notre chance d’attirer des investissements supplémentaires ») et celle consistant à inscrire la défense de l’environnement au-dessus des autres valeurs républicaines dans la Constitution. En outre, les autres mesures de la Convention citoyenne font peu à peu l’objet d’un rabotage ou carrément d’une suppression par les différents ministères (exit les propositions d’interdiction de la publicité sur les produits polluants, la taxation sur les engrais azotés, l’obligation de rénover les logements privés d’ici 2024, l’écotaxe sur le trafic aérien,…). Yolande Bouin, une citoyenne bretonne faisant partie des 150 tirés au sort, déclarait alors écœurée le 14 octobre dernier « Le gouvernement se fout ouvertement de notre gueule. J’ai la sensation d‘avoir participé à une grande arnaque pour reverdir le président de la République et lui faire gagner du temps ». Ce mépris des enjeux environnementaux s’est aussi constaté récemment par le vote, par la majorité macroniste, de la loi réautorisant les néonicotinoïdes malgré leur lien évident avec l’extinction des abeilles.

Cependant, c’est dans le durcissement des critiques envers toute pensée écologique radicale qu’on peut observer un formidable retournement de veste vis-à-vis des discours exprimés lors de la crise sanitaire. En effet, le premier ministre Jean Castex fustigea durant l’été « les tenants d’une écologie punitive et décroissante, d’une écologie moralisatrice voire sectaire ». Puis, le chef d’Etat n’hésita pas à dénoncer, pour justifier le déploiement de la 5G, ceux qui estiment « qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile ! », celui-ci ne croyant « pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine ». Chassez le naturel, il revient au galop ! Alors que le président incitait à « sortir des sentiers battus, des idéologies » en pleine crise sanitaire, on constate que, le jour d’après venu, celui-ci reste dur comme fer attaché au dogme selon lequel « There is no alternative » à la sainte croissance économique.

Paradoxe de l’ère des catastrophes

Face à cette hypocrisie révélée, quel bilan dresser ? Dans quel paradoxe absurde et dangereux sommes-nous coincés ? Alors qu’on constate que l’épidémie du covid-19 tire notamment ses causes de l’élevage intensif, de la destruction des habitats naturels ainsi que de la mondialisation effrénée, le cap ne change pas pour éviter d’autres chocs. Pire encore, les discours qui pourraient apparaître lucides devant la réalité grandissante d’un âge des catastrophes ne sont au regard des actes que des coquilles vides. Malgré les cartes maritimes très claires sur le danger de sa direction, le capitaine est retourné dans sa cabine bloquer instinctivement le gouvernail pour empêcher toute tentative de demi-tour.

Devant ce constat, on peut alors s’interroger : comment expliquer l’utilisation de la rhétorique catastrophiste par la classe politique au pouvoir, alors même qu’elle ne se saisit dans les faits aucunement du signal avant-coureur du covid pour anticiper les futures crises ? On peut dresser deux tentatives d’explication à ce paradoxe lexical et politique, symptomatique de l’ère des catastrophes.

Gouverner, ce n’est plus prévoir

On peut tout d’abord expliquer la distorsion entre urgence sanitaire et inaction climatique par la temporalité propre de la politique contemporaine. En effet, si Emmanuel Macron se voit contraint le 16 mars d’incarner un discours vigoureux, c’est car il est confronté frontalement à la catastrophe. Celle-ci devient palpable, tangible, brutale et le sentiment d’urgence est de plus en plus concret : c’est une affaire de jours avant que les cas ne grimpent en exponentielle et finissent par submerger l’hôpital. Alors, pour l’élite politique traditionnellement coupée des réalités sociales ou environnementales, le vernis rassurant se fissure : « le réel, c’est quand on se cogne », disait à cet égard Jacques Lacan. Cette prise de conscience du danger immédiat s’accompagne alors d’une forte volonté de mobiliser la population, d’où l’utilisation d’une rhétorique guerrière par le pouvoir. Or, ce constat est l’illustration d’une dérive contemporaine de nos systèmes politiques : l’urgence permanente. En effet, à mesure que se succèdent les crises économiques (krachs boursiers, récessions,…), politiques (attentats, migrations, mouvements sociaux radicaux,…) ou environnementales (canicules, tempêtes,…), le pouvoir politique semble de plus en plus enclin à adopter des mesures d’urgence qui, faute d’avoir réfléchi en profondeur auparavant, agissent sur les conséquences et non les causes du problème. Ainsi, alors que l’anticipation du pic pétrolier ou du changement climatique nécessite une hauteur de vue sur quelques décennies, les politiques semblent rester le nez dans le guidon à tenter de régler les problèmes les plus immédiats.

Or, si les élus sont des acteurs conscients de ce phénomène, ils sont aussi le jeu des structures institutionnelles et médiatiques qui toutes deux ont favorisé une accélération du temps politique. D’une part, il est clair que le système des élections propre au gouvernement représentatif a provoqué une incapacité de certains politiques à penser le long terme. Agissant souvent dans l’intérêt immédiat de leur réélection, les élus n’hésitent pas depuis 200 ans à promettre plein-emploi, croissance et bonheur pour tous. Mais ceci au mépris de la dette écologique (pollution irréversible, destruction de ressources non-renouvelables,…) dont le coût croissant se portera inévitablement sur les générations suivantes : « après mon mandat le Déluge ! ». D’autre part, avec l’émergence des réseaux sociaux et des chaînes d’infos en continu, le temps politique s’est considérablement accéléré et « court-termisé » : on observe davantage chez le politique la recherche d’une posture communicationnelle plutôt qu’un investissement concret dans la chose publique. Tous ces éléments constituent une clé d’explication du discours paradoxal d’Emmanuel Macron : face au danger tangible, le président prône un discours catastrophiste et s’agite. Cependant, puisqu’il n’a pas pris le temps depuis le début de son mandat de penser la résilience et le long terme, il n’a aucun plan en tête pour son « jour d’après ». En conséquence, le paradoxe de l’ère des catastrophes se renforce : plus les crises défilent, plus les politiques adoptent des discours graves et des mesures d’urgence économiquement et socialement coûteuses, mais moins ceux-ci ont le temps, les moyens matériels et la capacité politique de s’attaquer aux causes des problèmes. Aujourd’hui, gouverner, ce n’est donc plus prévoir mais résoudre les effets des crises du passé.

Cet article a été rédigé par François Fouchet, en partenariat avec le journal des étudiants de la licence Sciences Politiques de Rennes 1 (Arespublica)

Written By: Le P'tit Rennais

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