Vivement lundi ! « C’est plus que de la reconnaissance, c’est de l’amour. »

Le P’tit Rennais s’est entretenu avec Jean-François Le Corre, producteur au sein des productions rennaises Vivement Lundi! Ensemble, on a parlé d’animation, de cycle de vie d’un projet, de problématiques connexes à ce genre et des joies relatives à ce cinéma éblouissant et percutant.

LPR: Combien de talents compte votre équipe?

Cela dépend de ce que vous entendez par « talents ». On est 8 dans la société de production mais on travaille aussi avec un certain nombre de réalisateurs qui ne sont pas salariés de l’entreprise. Ils sont intermittents du spectacle et travaillent pour des productions sur des projets. Ici, il y a toujours entre 10 et 15 projets entre la production, la post-production ou l’écriture et le développement donc il y a toujours entre 10 et 15 réalisateurs.

LPR: Quels profils recherchez-vous?

On ne cherche pas de gens pour compléter nos équipes pour le moment. Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Un producteur, ça a besoin de produire des projets. Donc on est plutôt sur de la création originale ici.

On cherche des projets”

Donc si on se concentre sur l’animation, on cherche des projets d’animation à produire. Que ce soit un court-métrage, un projet de série, ou un long-métrage d’animation. Ce qu’on cherche ce sont des auteurs ou des gens qui nous envoient des projets. On peut également initier des projets; en ce moment il y a un programme qui est en salle qui s’appelle le “Quatuor à Cornes”, c’est notre première adaptation cinématographique d’une série de livres pour enfants. Pour cette adaptation, on avait acheté les droits des livres et on avait proposé à une scénariste et des réalisateurs de travailler sur trois adaptations de ces livres. Un premier film est sorti en 2017 et là en septembre 2018, les trois films sont sortis en salle. C’est une manière de travailler.

En règle générale, on travaille plutôt sur des projets originaux qui émanent d’un scénariste/réalisateur ou d’un scénariste et d’un réalisateur qui travaillent ensemble. Ces projets nous arrivent par mail, par la poste ou tout simplement par une chose qui est très importante dans nos métiers: les relations interpersonnelles. On connaît des gens, on se déplace, on va dans des festivals, on rencontre des créateurs. On leur fait savoir qu’on aimerait bien travailler avec eux.

LPR: Quel est le cycle de vie d’un projet d’animation?

Un film prend entre 1 et 5 ans à émerger. Un court-métrage, c’est entre 1 et 2 ans. Un documentaire, c’est souvent un peu plus court.

On pourrait appeler la première phase “recherche de projets, d’écriture, de développement”, c’est à la fois la phase la plus importante et je trouve la phase la plus intéressante du métier de producteur.

1)Un premier moment légal: la signature du contrat

Il y a un premier moment qui est important. C’est un moment légal. Le producteur s’engage à produire le film. Il signe un contrat avec l’auteur ou les auteurs. Parce que la particularité du cinéma d’animation c’est qu’en général, contrairement au cinéma où vous avez toujours un auteur réalisateur avec La Nouvelle Vague, il peut y en avoir plusieurs en animation. Les équipes en terme de création sont souvent un peu plus imposantes que pour un court-métrage de fiction classique avec des comédiens ou généralement vous avez un auteur réalisateur qui vient vous voir. Là c’est souvent une à deux personnes qui viennent nous voir, parfois trois.

2) L’écriture et le développement

Il y a ensuite une phase d’écriture et de développement. Pareillement à cette phase, premières recherches de financements et bouclage du budget des films.

3) La Fabrication

Vient alors la phase de tournage. En animation, on a plutôt tendance à appeler cela la fabrication. Parce que, que ce soit la marionnette, la 2D ou de la 3D, ce sont des équipes imposantes qui sont soit sur le plateau de tournage (si c’est de la marionnette), soit derrière des ordinateurs si ce sont des films en images numériques, qui peuvent prendre du temps.

4) La post-production

Et puis vous avez une phase de post-production. Il s’agit du montage de l’image, du mixage, du son et de l’étalonnage des images.

5) La promotion du film 

La promotion du film relève souvent du travail de producteur. Elle doit faire en sorte que le film soit vu d’abord par des professionnels que sont des festivals, des distributeurs, le ou les vendeurs internationaux qui vont acheter le film. Parfois, nous faisons nous-mêmes la distribution du film.

Le cycle de vie d’une série animée

Sur une série d’animation ça va être un peu différent. Vous allez d’abord travailler sur un concept, puis sur un marché, faire ce qu’on appelle un speech. Vous allez devant 100, 200, 300, 400 parfois 1000 professionnels et vous présentez votre projet sous forme de présentation orale qui dure de 15 à 20 minutes pour trouver des partenaires financiers. Et si votre projet a des intérêts, qui peuvent permettre d’espérer que la série ait un potentiel économique, vous entrez alors dans une phase de développement plus importante où vous allez écrire les scénarios, passer par le story-board (très spécifique à l’animation) et après vous entrez dans une phase de fabrication.

Pour une série, on ne vend pas, on ne distribue pas. Ce sont vraiment des métiers très spécifiques et vous avez ce qu’on appelle des vendeurs internationaux qui interviennent dès le départ quand vous êtes dans le montage financier de votre projet.

Là on vient de terminer la dernière saison de Dimitri, qui est une série de marionnettes animées pour des petits, des enfants de 4-5 ans, qui est une création originale d’Agnès Lecreux. Il s’agit d’une co-production entre Rennes, la Belgique et la Suisse donc vous avez déjà plusieurs partenaires. Vous avez trois grandes chaînes de télévision, France TV pour la France, la télévision publique Flamande, RRT et l’ARTS pour la Suisse. Sur la deuxième saison de Dimitri, il y a près de 200 personnes qui ont travaillé dessus, pour 25 épisodes de 5 minutes. Et il a fallu un an et demi pour fabriquer la série. Et je ne vous parle même pas d’écriture.

LPR: Sur quels projets d’animation travaillez-vous actuellement?

Mémorable,de Bruno Collet

En ce moment, on termine 2 courts-métrages, dont « Mémorable » de Bruno Collet. Bruno Collet, qui fait de la marionnette animée, est une valeur sûre de l’animation rennaise puisque ça fait plus de 20 ans qu’on travaille ensemble. L’histoire: un peintre atteint d’Alzheimer essaye de cacher sa maladie à son entourage.

La tête dans les orties, de Paul Cabon 

Le deuxième court-métrage sur lequel on travaille est de Paul Cabon. Son film s’appelle “La tête dans les orties”, moment initiatique dans la vie d’un adolescent, un film en 2D. Paul avait été nommé aux Césars l’an dernier avec un film qui s’appelle “Le futur sera chauve” et on avait eu le prix du court-métrage au Sundance Film Festival.

Un nouvel épisode duQuatuor à Cornes

On vient également de terminer la deuxième saison de Dimitri et on est en train de préparer un nouvel épisode du Quatuor à Cornes, donc cet univers pour les enfants avec des vaches assez sympathiques et délurées qui après être parties à la mer, partent à la montagne.

La deuxième saison d’#danslatoile

Vous avez une série web éducative qui s’appelle Hashtag dans la toile, une deuxième saison s’apprête à démarrer, elle est en train de se terminer. C’est un module de 3 minutes pour expliquer les usages du web aux enfants.

Deux longs-métrages

On travaille également sur deux longs-métrages sur lesquels nous sommes partenaires minoritaires. Un long-métrage danois qui est un film pour les adolescents et les adultes, qui est co-produit avec le Danemark, la Norvège et la Suède et Arte pour la France. C’est l’histoire d’un adolescent qui doit quitter Kaboul en 1980 quand les Talibans ont pris la ville et qui met 4 ans à rejoindre le Danemark. C’est donc un film très fort sur ce que c’est d’être un migrant politique. Comment un adolescent vit-il alors cette période traumatisante de sa vie?

LPR: Ca rappelle un peu Persépolis? 

C’est différent. Ce n’est pas une comédie du tout. On parle de traite de clandestins, de corruption, de ce que c’est de vivre sans papiers. C’est un film incroyable.

Il y a une autre histoire d’immigration qui s’appelle “Interdit aux chiens des italiens”, c’est un film français qui raconte l’histoire des italiens dans les années 1920 qui ont traversé la frontière, poussés par la famine, et qui sont partis vers la France et la Suisse. C’est un film dont on va fabriquer les marionnettes et les corps.

Et puis on a un certain nombre de projets qui sont à différentes phases de développement ou du production.

LPR: Comment appréhendez-vous le retentissement international de vos films? Comment le vivez-vous?

Bien! Vous connaissez des gens qui vivent mal le succès!? (Rires)

Effectivement, nos films d’animation ont beaucoup de succès, on est très fiers. On a arrêté de compter les prix internationaux que l’on a obtenus.

Une fierté rennaise

C’est une grande satisfaction. J’ai commencé à travailler dans cette région, il y avait seulement une société de production. Il n’y en avait pratiquement pas en dehors de Paris ou l’Ile-de-France, donc quand on défend comme moi la décentralisation culturelle, c’est gratifiant de voir qu’ici à Rennes, on peut produire des oeuvres qui ont vraiment des carrières internationales. Dans une ville comme Rennes où l’on travaille principalement avec des créateurs rennais, on peut avoir des talents qui rayonnent à l’international. Ils savent écrire, réaliser au plus haut niveau. Donc ça c’est très gratifiant.

L’animation comme genre universel

Ce qui est intéressant, c’est de voir comment ce genre, l’animation, circule vraiment bien à l’international. Et pour cela, il y a une raison. C’est tellement cher à produire, c’est tellement long à fabriquer que le travail d’écriture et de développement est conçu dès le départ pour que les récits soient universels. Contrairement à d’autres genres, l’animation vieillit moins vite. Alors qu’un documentaire, au bout de cinq ans, n’attire plus les gens parce que les esthétiques changent, la manière dont les gens s’habillent, dont l’urbanisme, les voitures évoluent, tout ça, ça change. La fiction peut prendre une patine avec l’âge mais le documentaire est beaucoup plus difficile à faire vivre dans le temps.

L’animation française: 3ème animation du monde

Cela fait plus de 20 ans maintenant que je produis. Je trouve que les marchés audiovisuels se sont internationalisés de plus en plus. L’animation française est la 3ème animation au monde en terme à la fois de volume de production et de qualité, après les E-U et le Japon. On ne le dit pas assez parce que souvent l’animation est reléguée au genre des enfants.

Quand on parle d’animation, on va penser aux films Pixar et on ne va pas parler des films français. Il y a un côté toujours très américano fasciné alors que l’animation française est sans doute l’une des meilleures au monde. On a les meilleures écoles d’animation en France. Les Gobelins, la Poudrière, Rubika dans le Nord. Nous avons des écoles dans lesquelles les recruteurs américains viennent dès la dernière année chercher des chefs de poste. On n’en parle pas assez. On parle une fois par an des films d’animation qui passent à Noël pour les enfants et puis au moment du Festival d’Annecy, qui est le plus grand festival au monde d’animation mais ce sont les seuls moments.

LPR: Vous êtes présents au Festival d’Annecy?

C’est incontournable, c’est la Mecque pour nous.

En France, on est un pays où l’on produit énormément d’audiovisuel et moi je ne me satisfais pas d’un film qui est vu une fois, puis dans un festival ou mis en ligne et qui fait 1.000 ou 2.000 vues. Cela fait partie de notre travail de faire en sorte que les films rencontrent des publics.

Trouver son public

La série “#dans la toile” a été très vue dans tout le monde francophone car c’est une série qui a été pratiquement sur toutes les chaînes francophones associées. Et on a été enchantés que près de 400 médiathèques en France achètent le DVD. C’est important, c’est un autre public. L’image est partout donc il faut simplement être en capacité de savoir à qui s’adresse tel projet. Quand votre projet s’adresse au plus grand nombre, ça c’est génial. Mais on ne peut pas faire du Pixar. Pixar, le budget du développement d’un film c’est plus de 10 millions de dollars. Le budget moyen d’un long-métrage en Europe, c’est autour de 6 millions d’euros. Ils font travailler 5-6 scénaristes sur une écriture là où vous pouvez n’en payer qu’un, c’est déjà bien. 

L’animation qui ne rencontre pas ses publics

Une problématique marketing 

Il y a plusieurs choses: une problématique de marketing et ça c’est vrai pour tout le cinéma d’animation européen. On n’arrive pas à dégager les mêmes budgets marketing que la concurrence. Donc quand vous faites 200.000 entrées en France, avec un long-métrage d’animation indépendant, on vous dit “vous devriez être contents”. Là où un long-métrage d’animation américain, s’il sort en salle en France et ne fait pas au moins 2,5 millions ou 3 millions d’entrées, fait perdre de l’argent. Parce que généralement le marketing a commencé un ou deux ans avant, ça c’est la première chose.

Une problématique médiatique

La deuxième chose, on a un problème globalement avec les relais d’opinion et les médias qui ne parlent quasiment jamais d’animation. Heureusement qu’il y a Télérama et Ouest France. On traite ça avec mépris et ce sont les mêmes personnes derrière qui vont dire “il est important de donner de la qualité, de la nouveauté et des choses qui ne soient pas formatées aux enfants.” Donc il y a toujours un double discours qui consiste à dire “arrêtons de donner toujours la même chose à nos enfants” mais quand on propose quelque chose d’alternatif, ces mêmes personnes se comportent avec une forme de dédain pour cette proposition.

Une problématique culturelle: le piratage

Et puis, très clairement le piratage, il ne faut pas avoir peur de le dire. Il y a une anecdote que tout le monde raconte dans notre secteur, c’est une série qui s’appelle Lastman, qui est une série de mangas français, admirablement réalisée. Il y avait beaucoup de lecteurs qui faisaient partis de la communauté. La série s’est classée dans les Trends les plus élevés le jour de la diffusion mais l’audience était médiocre. Cela veut donc dire que les gens la regardait d’une autre manière.

On est prêts à payer pour voir des comédies françaises, alors qu’on regarde de loin des créations originales. Et ça se complexifie. Vous parliez tout à l’heure de Persépolis, qui à l’époque était un beau succès en salle, plus d’un million d’entrées. C’était une énorme surprise pour tout le monde. De la même manière, Valse avec Bachirqui avait été un gros succès art et essai, a fait 500.000 entrées. Mais on n’arrive pas à reproduire ces succès sur ce genre de récits destinés au plus de 15 ans. 

Qu’est-ce qui fait qu’un film va avoir du succès?

Le marketing est important mais pas que. Un marketing va faire que vous allez avoir une première semaine qui va être très haute, très forte, surtout si vous avez une grosse combinaison de salle, puis une deuxième semaine où vous aurez déjà 50% des entrées qui vont chuter. La mécanique fait que la première semaine, vous allez faire entre 500.000 entrées et un million si vous avez la force de frappe du nombre de salles et du marketing. Aller jusqu’à 2 millions, ce n’est pas facile. Aussi, si le film n’est pas bien écrit et qu’on ne reste pas dans le récit, le succès va s’affaisser. 

LPR: Le speech de votre tout premier projet d’animation?

C’était une série d’animation qui s’appelle “Court-circuit” et c’était une déclinaison sur le principe de gendarmes et voleurs où un malfrat dans une voiture, essaye d’échapper à une voiture de police. Ils sont sur un circuit fermé donc la poursuite ne s’arrête jamais. Chaque épisode était une digression et un humour absurde et surréaliste sur le principe de la course poursuite.

LPR: Quel projet vous a le plus marqué/ a été le plus émouvant pour vous? 

La fois où l’on a eu le Prix Spécial du Jury à Annecy avec le premier court-métrage d’animation que j’ai produit qui s’appelle “L’homme aux bras ballants” en 1998, ça m’a vraiment marqué. Mais je dirais que la première sélection à Cannes deux ans après avec “Dos au mur”, c’est important. Et pour la dernière grande émotion, c’est un film belge que l’on a co-produit, “Ce magnifique gâteau”. Les marionnettes ont été fabriquées ici. J’avais vu des copies de travail, quand j’ai découvert la première fois le film mixé, étalonné à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs pour sa première mondiale. La copie était tellement belle, la salle réagissait tellement bien qu’il se passait quelque chose de très fort. J’ai l’émotion assez facile mais je suis de plus en plus exigeant en vieillissant.

C’est plus que de la reconnaissance, c’est de l’amour”

Même si c’est un petit festival au bout de sa rue, un public qui montre votre film et qui à un moment dit “on l’a beaucoup aimé et on va vous donner un prix”, on prend, on dit « merci ». On peut être très méprisant car on a eu beaucoup de prix, même certains improbables, mais ces prix sont la matérialisation de gens qui vous disent “on a beaucoup aimé ce que vous faites et c’est comme ça qu’on vous le dit”. C’est plus que de la reconnaissance, c’est de l’amour. C’est toujours un beau moment pour la carrière d’un film. En ce moment nous avons un documentaire “Je ne veux pas être paysan”, et il se passe des choses dans les salles. Il y a une émotion, les gens disent “ça fait des années qu’on n’a pas vu un film qui parle du monde paysan et d’un point de vue intime, de l’intérieur”. Et d’autres personnes vont me dire “mais ça va au delà du monde paysan, c’est une histoire de transmission, ce que ça veut dire quand on dialogue avec un père, avec une mère, comment ça fonctionne.”

Ah oui et une très belle émotion que j’ai eu ici au festival de Rennes qui était à l’époque à Bruz. Il y a deux ans, on a eu le Prix du public avec un film qui s’appelle “Sous tes doigts”. C’est l’histoire de trois générations de femmes qui sont des victimes de la guerre d’Indochine. Un homme est venu me voir et m’a dit “je m’occupais du jury des lycéens et je voulais vous dire au nom du jury qu’on a adoré votre film. Comme il a eu le Prix du Public, on ne lui a pas donné le prix.” Je lui ai répondu que c’était très bien, car je suis contre ces films qui raflent tous les prix dans un festival. Les festivals sont là pour remarquer des films. Un prix, c’est déjà très beau et ça suffit. Il a poursuivi en me disant que le jury cette année était un jury de lycéennes et que cette histoire de générations les a beaucoup touchées. Et sur ce film, on avait de vrais doutes car c’est un film qui parle d’histoire, une histoire qu’on enseigne très peu à l’école en France car c’est une guerre coloniale perdue, donc c’est un peu une honte pour la France. Et on se demandait comment ça allait pouvoir parler à des adolescents. Et au final, ça leur a beaucoup parlé et ému. Ce sont des émotions très fortes.

LPR: A l’inverse, avec quel projet d’animation avez-vous rencontré le plus de difficultés? 

Il y en a, évidemment. Mais il y a un projet dont je tairais le nom, par respect et parce que c’est dur. Cela peut arriver et je l’ai vécu, de perdre le sommeil parce qu’un projet à mis en danger la société. Le film était beaucoup plus compliqué que l’on ne l’avait imaginé, on avait mal évalué le temps de travail, la réalisation était complexe. Le niveau d’exigences qu’on avait était sans doute trop compliqué par rapport au budget. Quand je dis “on”, c’est nous la production et la réalisation. Et puis voilà, il se passe des moments forts et de l’argent tombe. Cela fait peur, c’est violent, brutal. Ce sont des choses que l’on n’oublie pas. Les producteurs ne sont pas des flambeurs, il nous arrive souvent d’avoir peur de ne pas y arriver, de ne pas boucler notre plan de financement, de trop dépasser etc. Enfin je dirais que c’est plutôt de l’angoisse.

LPR: Quels sont vos publics? 

Il y a de tout aujourd’hui, c’est ça qui est génial! Pendant très longtemps, on n’a pas fait de films pour les petits car il n’y avait pas d’enfants autour de nous. Un film comme “Ce Magnifique Gâteau”, c’est vraiment un film pour les adultes qui sont cinéphiles, ce n’est pas un film facile et c’est un film qui cartonne à l’étranger. Et puis, on grandit, on vieillit, on tombe amoureux, on a des enfants, on a envie de leur raconter des histoires. Maintenant on fait aussi du documentaire animé, donc on s’adresse à des gens qui ne connaissent pas nécessairement l’animation. On fait de la web-série aussi, donc on touchera des publics éducatifs.

Il n’y a pas de “petits” films! 

On nous pose souvent la question “mais vos petits films”, “vos petites boîtes de prod”? Je ne supporte pas cela. Un film, c’est un film. Nos courts-métrages sont vus par minimum 500.000 personnes et un film comme “Le petit dragon” a été vu plus de deux millions de fois, sur ce qu’on peut référencer. Les films sont vus, revus, même s’ils vieillissent un peu, le récit reste d’actualité, de même que sa qualité.

LPR: Privilégiez-vous certaines salles pour la diffusion de vos films?

Non. C’est un petit peu comme les festivals, j’ai beaucoup de respect pour les exploitants. Après, on attend des salles un minimum de professionnalisme. Ca s’est beaucoup amélioré. Mais quand j’ai commencé il y a vingt ans, des gens nous appelaient en nous disant, “on aimerait passer votre petit film avant tel long-métrage.”

“Très bien, c’est tant d’argent.

– Ah bah non, on ne va pas en plus vous donner de l’argent.

– Eh bien si, c’est un film, c’est une oeuvre.

– Vous devriez être contents qu’on veuille déjà le montrer.

– Mais on n’a pas besoin de vous. D’abord c’est s’il vous plaît, ensuite ce n’est pas un petit film, vous expliquez pourquoi vous voulez le montrer parce que vous l’avez aimé.”

Il y a des moments où c’était très violent et on s’engueulait beaucoup. Ca s’est beaucoup arrangé. Il y a des principes. Il faut arrêter de croire que c’est de la création et que ça devrait être gratuit tout le temps. Non, aujourd’hui, les économies créatives en Europe sont très importantes. En France, les secteurs de l’audiovisuel génèrent plus d’emplois que les secteurs de l’automobile et de l’industrie pharmaceutique.

LPR: Sur une note plus légère, un court-métrage que vous auriez rêvé de produire? 

Il y en a plein. Il y a un court-métrage qu’on aurait aimé produire mais qu’on n’a pas pu, c’est “Negative Space

Et puis en long-métrage, c’est “Valse avec Bachir”, il fait le pont entre ce que j’aime dans le documentaire et ce que j’aime dans l’animation. Cette capacité à éveiller le monde et en même temps d’aller faire des formes qui prennent des risques en terme d’écritures. C’est un film incroyable.

Photographie : David Esnault

Written By: Jade Ropers

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