Vivre avec le cancer du sein : seconde partie

La rencontre avec ces femmes incroyables

J’ai rencontré des personnes incroyables et fort.es pendant tout ce mois d’octobre. Iels m’ont émue par leur force. 

Les récits étaient parfois joyeux, parfois très difficiles. Il m’arrivait de pleurer en les écoutant. Aujourd’hui, je vous partage une partie de la vie de trois d’entre elles, trois femmes. Les prénoms seront modifiés par soucis d’anonymat.

«  Tout s’effondre (…) Je n’entends plus rien »

Lorsque le diagnostique tombe (pas sans difficultés face à certains médecins et/ou gynécologues) c’est un choc. « Le ciel me tombe sur la tête » dira Olympe. Elles seront à ce moment-là « prise dans un engrenage » qu’elles seront obligées de suivre. Pour certaines, le choc est tel qu’elles auront le sentiment que « tout s’effondre » avec cette sensation de ne plus rien entendre autour d’elles. 

CLAIRE

Claire a été diagnostiquée à l’âge de 33 ans d’un cancer du sein de stade 2. Dans sa situation, il était urgent d’opérer et de recourir à la mastectomie. D’abord, cette nouvelle a été un choc pour elle. « À l’annonce de la mastectomie, je n’étendais plus rien, mon mari à côté écoutait ce que nous disait le médecin, il restait attentif, moi, je n’étais plus présente ». Elle se demanda simplement : « À quoi vais-je ressembler ? »

« À quoi vais-je ressembler ? » Dans ce brouhaha d’informations délivrées par le médecin, cette question est lourde de sens . Comme si ce corps qu’elle connaissait ne lui appartenait plus. Il y a une dissonance réelle entre ce qu’elle est et l’image qu’elle va renvoyer. Une image qui sera différente, qui attirera l’oeil, qui entrainera du rejet devant le miroir, qui évoquera la maladie à chaque instant dans son intimité. 

Après le choc de la nouvelle et la mise en place de l’accompagnement dans les différentes étapes du traitement du cancer, Claire et son mari ont décidé d’en parler à leur jeune enfant avec des mots adaptés, et de ce que cela pouvait entrainer : les traitements, les opérations et également la mort.

Il n’y a pas une meilleure façon de faire selon elle, mais en tant que parent ils l’ont ressenti comme cela. En parler à leur fils était essentiel.

En fait, c’est à ce moment-là que les proches sont importants. Certains seront perdus, impuissants face à la maladie de leur proche. Il est important de discuter de chaque étape du cancer du sein. Le mari de Claire est selon ses mots « incroyable ». Il a su la valoriser, lui dire qu’elle était incroyablement belle. Chose qu’elle ne pensait plus d’elle-même. Son mari l’a aimé si fort qu’elle a pu affronter ce cancer en ayant moins peur.  

En écrivant cet article je me demande : qui aujourd’hui est capable de se regarder dans le miroir en se disant qu’il s’aime entièrement physiquement ? Imaginez un instant que l’on vous retire une partie de votre corps ? Comment se sentir à ce moment ? On nous habitue à une pseudo normalité des corps auxquels il faudrait ressembler. On utilise le mot « normal » pour signifier que l’on n’est pas différent. Nous considérons que si nous ne sommes pas dit « normaux », nous sommes : trop grosse, trop maigre, trop féminine, trop masculine, on a des fesses trop plates ou trop grosses, des seins trop gros ou trop petits… mais comparé à quoi ? à la norme qui n’existe pas. On se crée des complexes, on se sent nulle, moindre, ou en excès de confiance. La norme à un impact sur nos vies. La maladie fait peur de façon profonde dû aux traitements, à la mort, à la douleur. Mais également dû à la mise à l’écart de la société qui en a peur. Une femme avec un sein en moins n’est pas dite « normale », une femme sans cheveux n’est pas dite « normale ». Cela paraît absurde.

Les comportements de la société changeront face à elle. Qu’il s’agisse d’un cancer, d’un handicap physique ou mental, d’une pathologie, d’un trouble du développement neurologique, il faut apprendre à l’accepter dans nos réalités, parce que c’est réel. La normalité n’existe pas, elle est fondée sur des critères qui évoluent avec les époques. Fermez les yeux sur ce qui existe ne les fera pas disparaitre. 

Définition « réalité » : Caractère de ce qui est réel, de ce qui existe effectivement (et n’est pas seulement une invention, une apparence).

https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/réalité/66836

Définition « norme » : Règle, principe, critère auquel se réfère tout jugement. 

https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/norme/55009

Revenons au mari de Claire, il a été très présent comme soutien, ce qui ne l’a pas empêché lui aussi d’être soutenu à son tour par un psychologue. Accompagner et soutenir une personne peuvent être intimement difficile. Le but n’est pas d’être sauveur, il faut aussi savoir aussi lâcher prise pour être présent de la meilleur des façons.  Il ne faut pas oublier que les proches sont très concernés par la maladie en règle générale, il ne faut pas hésiter à consulter un psychologue qui saura être un soutien à votre et à leur égard. 

OLYMPE

Olympe avait été diagnostiquée il y a 13 ans de ça après avoir trouvé une boule sous le bras lors d’une visite médicale du travail. J’entends encore sa voix au téléphone me racontant chaque étape de son cancer. Elle se souvient avoir été très bien entourée par l’équipe médicale en charge de son dossier, et aujourd’hui encore par sa famille unie et aimante. 

Elle a subi 6 chimiothérapies en intraveineuse pendant 1 an. À l’époque elle a eu sur la tête un casque réfrigérant pour empêcher la chute de ses cheveux. Le traitement est long et lourd. Le corps et l’esprit sont mis à rude épreuve.

Elle se souvient parfaitement du moment où ses cheveux ont commencé à tomber dans la douche « Ça m’a fait peur ». Quand elle s’est rendu compte de la quantité de cheveux qu’elle perdait, elle s’est effondrée en pleurs, seule dans la salle de bain. Ce souvenir encore pénible resurgit des années après. Pour cacher cette perte de cheveux, Olympe a commencé par des perruques qu’elle ne supporta pas longtemps et porta ensuite des foulards. Elle n’a pas été affectée par le regard des autres. Elle n’a pas souvenirs d’avoir été victime de commérages.

Au fur et à mesure des témoignages je me rends compte à quel point la perte de cheveux est significative et liée à notre propre identité. Une part de nous s’en va lorsque nos cheveux tombent dans nos mains. La perte de cheveux peut être vécue comme une déchirure pour ces femmes. Les cheveux définissent notre identité. Une femme serait une femme avec des cheveux plus ou moins longs. Les cheveux courts sont appelés : coupe à la garçonne. Même si bien sûr aujourd’hui cette coupe de cheveux courte s’est démocratisée, une femme aux cheveux courts sera regardée dans la rue. Elle ne passera pas inaperçue. On se posera des questions limitantes sur sa santé (est-elle malade ?), sur sa sexualité (est-elle homosexuelle ?) où on se dira juste qu’elle a osé les couper comme un garçon, qu’elle doit avoir du caractère. Elle ne passera pas inaperçue. Au-delà du regard des autres, de la société, dans notre intimité, perdre ses cheveux nous oblige à nous confronter à la maladie. Elle est cachée sous notre peau mais se rend visible par les traitements et la fatigue de notre corps. Elle est là et nous abime. 

Les proches sont également souvent sous le choc lorsqu’ils voient leur mère, épouse, soeur, tant adorée, sans cheveux. Lorsque ses enfants ont appris pour ce fichu cancer, ce fut un terrible choc pour eux mais ils l’ont très bien accompagnée et soutenue, elle s’est sentie très entourée par sa famille. 

La petite-fille d’Olympe avait 8-9 ans à l’époque quand sa grand-mère a retiré sa perruque devant elle, ce ne fut pas facile de voir sa mamie comme ça. C’était la première fois, en tant qu’enfant qu’elle était confrontée à la maladie. Elles gardent en mémoire ce souvenir particulier mais elles en parlent aujourd’hui encore, ce sujet est loin d’être tabou pour elles. 

« j’avais pitié des autres plus que de moi-même »

Pendant les séances de chimiothérapie elle n’était pas seule dans cette grande salle à l’hôpital où se passaient les séances. Elle me dit d’ailleurs : « j’avais pitié des autres plus que de moi-même ». Ces séances l’ont beaucoup fatiguée mais elle les a supportées contrairement à d’autres qui sont décédées avant la fin du traitement. Puis elle enchaina avec de la radiothérapie. Vers la fin de ce traitement elle commençait à ressentir les brûlures dans son corps. 

Elle a également subi une opération à l’un de ses seins.  D’ailleurs, elle me dira en riant « je possède un sein d’une jeune femme de 20 ans et l’autre d’une vieille femme, les médecins n’ont jamais voulu équilibrer mes seins ».

Aujourd’hui, son sein qui avait été touché par le cancer lui fait toujours mal, elle ne peut pas lever le bras à 100%. 

« Il faut protéger ses proches c’est important »

 Son mari ne s’exprimait pas au regard du cancer du sein de sa femme « il ne montre pas ce qu’il pense, mais ça ne veut pas dire qu’il ne s’inquiète pas». Pour s’évader, Olympe se balade dans sa pépinière, la brise contre son visage pour se sentir vivante et sereine. 

Elle organisait ses journées comme d’habitude ne voulant pas se laisser tomber. Rester active était donc très important pour elle durant cette période. C’était une façon pour elle de protéger son mari de la souffrance et l’inquiétude qu’engendre un cancer. Rien ne changeait dans leur habitude et son mari se sentait rassuré. 

JADE

Quand j’ai rencontré Jade, je me suis retrouvée face à une femme incroyablement forte. Elle est rayonnante et bienveillante. Elle m’a parlé de son parcours difficile. En fait, Jade à un instinct très présent, elle a tendance à l’écouter et à se faire confiance mais le domaine médical n’a pas toujours été à l’écoute de ses inquiétudes. Son cancer aurait pu être pris en charge plus rapidement. Cela a entraîné de la colère de l’incompréhension et de la souffrance physique et psychologique qui auraient pu être évitées. Ce sont des choses qui arrivent dirait-on mais je reste convaincue qu’énormément de maladies liées à la femme pourraient être décelées plus tôt si les symptômes étaient pris au sérieux.
Pour rappel : Il existe une inégalité de prise en charge entre les hommes et les femmes au niveau médical. L’approche du genre est de ce fait important. les différences biologiques sont loin d’être seules en cause. Les facteurs sociaux culturels sont à prendre en compte. Les recherches en sciences sociales montrent que les codes sociaux de la féminité (fragilité, sensibilité …) et de la masculinité (résistance à la douleur, force …)  influencent la façon dont les professionnels de santé dépistent et prennent en charge certaines maladies. 

Si vous êtes du milieu médical, le but n’est pas de mettre tous les professionnels de la santé dans le même panier. Simplement de montrer une réalité. 

Par exemple : pour le diagnostic de l’endométriose, la moyenne est de 7-8 ans. Et ce n’est que depuis la rentrée 2020 qu’elle est enseignée à la faculté de médecine. « Une femme qui a mal, c’est normal » est une croyance qui influence le corps médical dans la prise en charge de la douleur et le diagnostique de la maladie. 

« une femme mutilée »

Jade à subi une mastectomie. 

Elle ne voulait pas se regarder dans un miroir. Voir son reflet lui était insupportable. A tel point que dans l’intimité il lui était impossible de retirer son t-shirt devant son mari lors de leurs relations sexuelles. 

Elle se considère comme « une femme mutilée », une part de sa féminité serait partie avec la perte de son sein.

Elle ressentait également comme une sensation qu’une partie d’elle en tant que mère n’existait plus « j’ai l’impression que je leur ai enlevé une part de leur maman ».

Les seins façonnent l’identité. Ils représentent la féminité, la maternité, la sexualité dans notre société actuelle. Chose qui n’existe pas pour l’homme. 

Ces étiquettes que l’on colle à nos seins peuvent être acceptées comme être la source de souffrance. 

Jade a souhaité faire une reconstruction mammaire. Avant cette opération il a été question de parler des risques avec sa famille. Chaque enfant a eu sa façon de réagir, avec parfois de la culpabilité de ne pas réussir à être plus présent émotionnellement face à cette épreuve. Son mari ne voulait pas parler de la mort. 

Avant notre entrevue, Jade est allée chez le notaire pour s’assurer que tout était au clair avant l’opération.

L’opération s’est déroulée la semaine suivante. Il s’agissait de lui prélever une partie de son ventre pour recréer une forme de sein. Tout s’est très bien passé, et j’en suis très émue.

Jade, très bienveillante et active, a participé à la sensibilisation du cancer du sein avec la marque de t-shirt Titsup (https://www.titsup.co). Pour chaque achat, 1€ est donné à la recherche dans la lutte contre le cancer du sein.

Sa famille a été très présente dans sa maladie avec parfois beaucoup d’humour et de légèreté. Parfois beaucoup de peur, ne sachant pas comment être présente. 

Jade a aussi appris que la maladie pouvait faire fuir une partie de son entourage. Certains amis, connaissances, changeaient de rayon au supermarché ou arrêtaient de prendre de ses nouvelles … La maladie fait peur et il est possible d’utiliser la peur comme une force ou d’utiliser la peur comme moyen de défense et de ce fait, fuir.

A SAVOIR

  • La solitude est une part importante de la maladie, il ne faut surtout pas hésiter à en parler auprès de groupe de soutien, de personnes qui vivent des situations similaires.
  • Il est important, si le besoin est ressenti, de consulter un.e psychologue pour lâcher prise. Il faut parler, la communication est primordiale pour faire face au mieux au cancer. 
  • Ne pas hésiter à changer de médecin si vous ne vous sentez pas entendue. 
  • Donner toutes les informations, tout ce que vous ressentez à votre médecin pour qu’il puisse faire le diagnostic le plus facilement et rapidement possible. (je vous renvoie au premier article pour connaître les gestes d’autopalpation :  
  • Perdre ses cheveux fait peur, perdre ses cheveux nous met à nu, perdre ses cheveux rend visible la maladie, mais ne vous fait pas perdre votre identité et votre valeur. 
  • Fermez les yeux sur ce qui existe ne le fera pas disparaître. Arrêtons de vouloir correspondre à une norme et d’avoir peur. Soyons emphatiques, sensibles, et bienveillants. Il suffit simplement de demander : « comment tu te sens ? » 
  • Etre fort.e c’est aussi craquer, pleurer, être fatigué.e, crier. 

Written By: Juliette BAUGE

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